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Conseiller l'État
a priori qu'assez peu favorables à certains recours aux consultants.
Elles invitent, en effet, à privilégier la prise en charge
publique à mesure que (pour n'évoquer que quelques critères
récurrents) : la spécificité des actifs augmente, la difficulté à
contractualiser la relation augmente (notamment du point
de vue de l'évaluation de la performance du prestataire), la
fréquence du besoin augmente, le lien avec l'intérêt général
augmente et la concurrence diminue 289
. Bien entendu, les
prestations offertes - qu'il s'agisse d'infogérance ou d'appui
stratégique - par les cabinets de conseil sont susceptibles de
se situer de manières très diverses sur ces échelles. On peut
néanmoins estimer qu'en ce qui concerne le conseil en management
et, plus encore, en stratégie, les signaux sont plutôt
négatifs 290
.
D'ailleurs, et enfin, les évaluations du recours aux cabinets de
conseil laissent assez perplexes. Il ne s'agit pas de dire que les
retours d'expérience de l'État sont concrètement négatifs 291
.
Une étude récente - qui se présente comme l'une des premières
évaluations quantitatives indépendantes de l'impact
des consultants sur l'efficience du secteur public - tend, il est
vrai, à montrer que les dépenses de conseil en management
semblent avoir un effet inverse de celui qui est recherché par
le client 292
. Plus fondamentalement, c'est le caractère extrêmement
difficile à évaluer des résultats de l'activité de conseil
qui est notable. D'une part, en raison de leurs caractéristiques
propres d'intangibilité et d'incertitude 293
. D'autre part, parce
qu'« [e]n tant qu'évaluateur de l'organisation et/ou de la gestion
de l'entreprise, le consultant se fait à la fois prescripteur
de solutions et des modalités de leur évaluation » 294
. Cet effet
est singulièrement renforcé par les configurations contractuelles
en système fermé qui, dans le même temps qu'elles
favorisent le recours, restreignent les capacités évaluatives
289 A. Hefetz, M. E. Warner, « Contracting or Public Delivery ? The Importance
of Service, Market, and Management Characteristics », Journal of Public
Administration Research and Theory 2012, 22, 2, p. 295. V. aussi, J. Levin et
S. Tadelis, « Contracting for government services : theory and evidence from
U.S. cities », The Journal of industrial economics sept. 2010, vol. LVIII, n° 3,
p. 507 et s.
290 V. en ce sens (bien que justifiant le recours - l'auteur est lui-même consultant
- en évoquant les bienfaits du benchmark et l'indépendance du regard),
S. Canback, « The Logic of Management Consulting (Part One) », Journal of
Management Consulting 1998, vol. 10, n° 2, p. 7.
291 Ils le sont parfois. V. rapp. Assassi, p. 142 et s. V. aussi la différence entre les
deux phases de la RGPP, IGA, IGF, IGAS, rapp. nos
RM 12-082/12-064/01,
2012-M-058-01 et RM 2012-121 P, Bilan de la RGPP et conditions de réussite
d'une nouvelle politique de réforme de l'État, sept. 2012, p. 8. Comp. Institute
for Government, Government outsourcing. What has worked and what needs
reform ?, sept. 2019, disponible sur instituteforgovernment.org.uk.
292 La phrase est une adaptation et une traduction personnelle de I. Kirkpatrick, A.
J. Sturdy, N. Reguera Alvarado, A. Blanco-Oliver et G. Veronesi, « The impact
of management consultants on public service efficiency », Policy & Politics
2019, vol. 47, n° 1, p. 90 (v. aussi : « Our principal finding, however, is that
despite these costs, the use of management consulting is not statistically associated
with improvements in efficiency. On the contrary, our results appear to
suggest that higher levels of spending on management consultants have had a
statistically negative effect on two separate indicators of efficiency ( " operational "
and " ajudsted cost " ) ».).
293 A. Sturdy, I. Kirkpatrick, N. Reguera, A. Blanco-Oliver et G. Veronesi, « The
management consultancy effect : Demand inflation and its consequences in
the sourcing of external knowledge », Public Administration 2022, vol. 100,
n° 3, p. 490 : « Consulting services are often hard to evaluate even after being
consumed-what is called product uncertainty ».
294 S. Thine, « Pierre Bourdieu : éléments d'une analyse du champ du conseil »,
Revue française de gestion 2006/6, n° 165, § 3.
des clients 295
. En témoigne le fait que, pour le moment, les
pénalités au titre de l'exécution des contrats ne sont jamais
appliquées aux consultants dans le périmètre de l'accordcadre
DITP, « y compris pour des prestations pourtant très
décevantes » 296
.
2. Légalité
Il est fréquent, en matière d'externalisation en général, que
la force normative des incitations économiques entre en
« collision » 297
avec les règles juridiques bornant la réalisation
des activités administratives, y compris des indélégabilités
très affirmées, comme celle qui découle de l'article 12 de la
Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789. Il
en ressort une évanescence des limites juridiques au recours
à un tiers privé, dépassées ou contournées par l'opportunité
stratégique d'externaliser des segments, de plus en plus fins,
d'activités administratives au service d'un vertigineux recentrage
sur l'essentiel. En matière de recours par l'État aux cabinets
de conseil, les choses se présentent plus simplement (alors
même que l'opportunité du recours est discutable) : non pas
que la dynamique de parcellisation de l'action administrative
ne trouve pas à s'y appliquer, mais les limites juridiques du
recours aux consultants sont tout simplement faibles.
L'abord de ces limites rencontre cependant une difficulté spécifique,
tenant à la substance même des activités de conseil,
qui sont à la fois semblables et très différentes, si bien qu'elles
sont susceptibles de s'arrimer à n'importe quel point de l'action
administrative. Partant, où raisonner ? Quelle autorité
envisager pour déterminer si quelque chose - un élément de
la structure de la norme d'habilitation qui lui permet d'agir
juridiquement - s'oppose à ce qu'elle recoure à un cabinet
de conseil ? Cette difficulté explique sans doute que les rares
tentatives d'analyse de cette question mobilisent, sans grande
conviction, les points de repère classiques de l'indélégabilité,
tels que l'avis du 7 octobre 1986 298
en matière de police administrative 299
, la jurisprudence
ou les décisions du
Conseil constitutionnel sur les « tâches » de souveraineté 300
.
Or, le premier ne fait que rappeler l'idée d'indisponibilité
des compétences, la deuxième n'a pas grand-chose à voir
avec le recours aux consultants - sauf à comprendre le terme
« police » comme au milieu du XVIIIe
siècle - et les dernières
sont trompeuses, car leur formulation large - en référence à
la souveraineté - cache le fait qu'elles sont à peu près épuisées
par les fonctions de greffe, de surveillance et de direction des
établissements pénitentiaires. Il semble impossible d'en géné295
S. Thine, « Pierre Bourdieu : éléments d'une analyse du champ du conseil »,
Revue française de gestion 2006/6, n° 165, § 14.
296 Rapp. Assassi, p. 142. Dans le même sens, IGF 2023, annexe IV, p. 9.
297 Dans le sens de G. Teubner, « Altera pars audiatur : le droit dans la collision des
discours », Dr. et sociétés 1997, p. 99 et s.
298 CE, sect. int., avis, 7 oct. 1986, n° 340609.
299 Évidemment, CE, 17 juin 1932, n° 12045, Ville de Castelnaudary.
300 V. not. Cons. const., DC, 29 août 2002, n° 2002-461, Loi d'orientation et de
programmation pour la justice ; Cons. const., DC, 20 nov. 2003, n° 2003-484,
Loi relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à
la nationalité ; Cons. const., DC, 22 mars 2012, n° 2012-651, Loi de programmation
relative à l'exécution des peines.
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