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200d4
A POSTERIORI
Hans Kelsen, « La garantie juridictionnelle
de la Constitution » (RDP 1928, p. 197 à 257) RDP200d4
Renaud BaUmert
Professeur de droit public à l'université Cergy-Paris (CYU)
Membre du Centre de philosophie juridique et politique (CPJP)
L'ESSENTIEL
Depuis 1894, la Revue du droit public a publié bien des articles. Cette rubrique propose de se retourner sur quelques pages
de cet impressionnant corpus. Se saisissant d'un article célèbre ou oublié, adoré ou abhorré, elle en rappelle le contexte,
le contenu, la postérité... Il peut aussi s'agir, tout simplement, de prendre pré-texte de ces lignes du passé pour examiner à
nouveau frais le présent ou envisager le futur. Si, comme l'écrivait Paul Valéry, nous entrons dans l'avenir à reculons, autant
regarder avec attention ce que l'on voit.
A
u printemps de l'année 1928, la Revue du droit
public publiait un article d'Hans Kelsen, traduit par
Charles Eisenmann et intitulé « La garantie juridictionnelle
de la Constitution (la Justice constitutionnelle) » 1
.
Il reprenait les thèses développées par le célèbre juriste autrichien,
à la fin du mois d'avril 1928, devant le congrès de la
prestigieuse Association des professeurs de droit public allemands
(Vereinigung der Deutschen Staatsrechtslehrer) 2
. Ces
idées allaient donner lieu à une seconde présentation orale,
qui se tiendrait le 20 octobre de la même année, à Paris,
devant l'Institut international de droit public. Le rapport
de Kelsen allait être discuté, en séance, par des juristes aussi
éminents que Henry Berthélemy, Léon Duguit, Gaston Jèze,
Achille Mestre, Boris Mirkine-Guetzévitch, Nicolas Politis ou
encore Richard Thoma. En France, ceux que la question intéressait
pouvaient d'ailleurs se référer à l'ouvrage que Charles
Eisenmann, la même année, avait tiré de sa thèse 3
. Du reste,
la Revue du droit public avait offert à ses lecteurs, deux ans
auparavant, un copieux aperçu de la théorie de l'État que
développait « l'école de Vienne » 4
. En somme, le travail de
médiation effectué par Charles Eisenmann avait rendu pleinement
accessible, à un public francophone, la théorie kelsénienne
de la justice constitutionnelle.
Comme on le sait, le mécanisme institutionnel théorisé par
Kelsen a finalement trouvé sa place - sous une forme ou sous
une autre - dans un grand nombre de systèmes institutionnels.
Au vu de ce succès, l'article de 1928 est souvent présenté
comme un texte fondateur dans lequel le « père spirituel »
du supposé « modèle européen de justice constitutionnelle »
aurait exposé ses vues. Comme il est fréquent, cette consécra1
H. Kelsen, « La garantie juridictionnelle de la Constitution (la justice constitutionnelle)
», RDP 1928, n° 2, vol. 45, p. 197 à 257. Pour le compte rendu de la séance
du 20 octobre 1928, C. Eisenmann, « Discussion du rapport de M. Kelsen sur " la
garantie juridictionnelle de la Constitution " », in Annuaire de l'Institut international
de droit public, 1929, PUF, p. 193 à 211.
2 H. Kelsen,
« Wesen und Entwicklung der Staatsgerichtsbarkeit », in
Veröffentlichungen der Vereinigung der Deutschen Staatsrechtslehrer, 1929,
De Gruyter, p. 29 à 88, n° 5 (discussion p. 88 à 123).
3 C. Eisenmann, La Justice constitutionnelle et la haute cour constitutionnelle d'Autriche,
1928, LGDJ.
4 H. Kelsen, « Aperçu d'une théorie générale de l'État », RDP 1926, vol. 43, trad.
C. Eisenmann, p. 561 à 646. Cet article synthétise les principaux enseignements
d'Hans Kelsen, in Allgemeine Staatslehre, 1925, Springer.
tion doctrinale s'est largement accompagnée d'une schématisation
des arguments avancés par Kelsen. Il aurait eu le mérite
de voir dans la Constitution une norme de degré supérieur à
la loi mais de même nature qu'elle. Hélas dépourvue de sanction,
la Constitution demeurerait pourtant largement lettre
morte. La « justice constitutionnelle » y remédierait, conférant
à la Constitution l'efficacité qui, jusque-là, lui aurait fait
défaut. Le génie propre de Kelsen aurait été d'avoir promu un
contrôle de constitutionnalité centralisé, c'est-à-dire exercé de
manière exclusive par une cour constitutionnelle. En termes
de sécurité juridique, ce système lui semblait offrir de meilleures
garanties que le mécanisme du « contrôle diffus »
- qu'on qualifie parfois de « modèle américain ».
À de rares exceptions 5
, c'est généralement ainsi que la doctrine
française contemporaine présente cette théorie - ce qui
est bien compréhensible car certains éléments de cette interprétation
sont incontestables. Il nous semble toutefois qu'une
lecture de ce type tend à dépolitiser quelque peu le propos
de l'auteur. C'est pourquoi, dans les pages qui suivent, nous
chercherons surtout à restituer à la théorie kelsénienne de la
justice constitutionnelle sa portée proprement politique.
Pour ce faire, nous essayerons, tout d'abord, de replacer la
contribution de Kelsen dans le contexte qui fut le sien : celui
d'une lutte politique qui déchira la doctrine de langue allemande
(I). Puis, nous nous pencherons sur les raisonnements
tenus par Kelsen, afin d'en extraire deux justifications de la
justice constitutionnelle trop souvent passées sous silence (II).
I. Une lutte politique et doctrinale
Dans l'Autriche de l'après-guerre, la question du contrôle de
constitutionnalité des lois ne soulevait pas d'incertitude. En
son article 140, la Constitution de 1er
expressément la question en instituant une haute cour constitutionnelle
qui statuait, entre autres choses, « sur l'inconstitutionnalité
des lois fédérales ». Dans la sphère germanophone
5 V. surtout la très riche contribution de Michel Troper, in La théorie du droit, le
droit, l'État, 2001, PUF, chap. XII, p. 173 à 193 (éd. or., M. Troper, « Kelsen et le
contrôle de constitutionnalité », in C. Herrera (dir.), Le droit, le politique autour de
Max Weber, Hans Kelsen, Carl Schmitt, 1995, L'Harmattan, p. 157 à 182).
octobre 1920 réglait
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