Revue - Revue du droit public et de la science politique en France et à l'étranger N°3-2024 - 80

Articles
le biais de l'action associative (I) pour ensuite réfléchir aux
liens juridiques entre liberté d'association et effectivité de la
dignité humaine (II).
I. La liberté d'association et l'effectivité
des droits fondamentaux liés
à l'exercice de la démocratie
« Comme toute liberté publique, la liberté d'association est
un signe du degré de démocratie dans un État » 30
.
La démocratie est une notion polymorphe, plastique, qui
« se module aisément au gré des conceptions, des convictions
et des idéologies des acteurs qu[i] la proclament » 31
.
Schématiquement, on peut distinguer la démocratie d'un
point de vue substantiel et procédural 32
. La première accep.
En second lieu,
tion désigne la démocratie selon les procédures particulières
permettant d'organiser les choix collectifs 33
la démocratie est un projet de société déterminé par des fins :
l'égalité et le bien commun et le respect des droits et libertés
fondamentales. Une composante ne prévaut pas sur l'autre :
la légitimité de la démocratie repose tout autant sur les procédures
particulières employées pour prendre les décisions
politiques que sur la teneur des décisions.
La liberté d'association confère une forme juridique à des
groupes humains. Elle ouvre des espaces d'expression, encourage
le pluralisme des opinions s'inscrivant résolument dans
le champ de la démocratie par une participation à une certaine
forme de création du droit (A). Sur ce dernier point,
la capacité juridique de l'association lui permet de saisir la
justice, notamment dans un but de défendre des droits et
libertés fondamentales, ce qui participe de leur effectivité (B).
A. L'effectivité de la liberté d'expression
et de la participation démocratique
Par une jurisprudence fournie, le Conseil constitutionnel
affirme que la liberté de communication des opinions et des
pensées, consacrée à l'article 11 de la DDHC, doit être regardée
comme une « condition de la démocratie » 34
. La liberté
d'expression et de communication dont découle le droit d'expression
collective des idées et des opinions est au cœur des
valeurs de la démocratie : elle permet son fonctionnement.
Le droit à l'association libre fait vivre la liberté d'expression et
la rend effective dans la réalité sociale. En effet, l'action associative
est « issue de la rencontre entre personnes [et] ouvre
à l'espace public, c'est-à-dire qu'elle offre à [d]es personnes la
possibilité de contribuer à la construction d'un monde com30
C. Debbasch et J. Bourdon, Les associations, 2006, PUF, Que sais-je ?, p. 124.
31 K. Benyekhlef, « Les figures de la démocratie : une introduction », in
K. Benyekhlef (dir.), Au-delà de la Représentation : les figures de la démocratie,
2016, Thémis, p. 1-41, spéc. p. 5.
32 J. Roussin, « Deux conditions de la légitimité démocratique », Philosophiques
2019, n° 1, vol. 46, p. 45-66.
33 Cette distinction est assez classique en science politique, v. G. Hermet, Culture et
démocratie, 1993, Albin Michel.
34 Cons. const., QPC, 24 nov. 2021, n° 2021-948, Société Coyotte System,
cons. 11.
mun indispensable à la démocratie, à travers un engagement
volontaire ménageant la pluralité des opinions, la conflictualité
des intérêts et la différence des perspectives » 35
. La
liberté d'association contribue au développement de la pluralité
des opinions et la forme juridique qui en découle donne
un espace concret, un lieu de vie et d'existence à ces valeurs.
C'est parce qu'il existe un groupe organisé administrativement,
des locaux, des espaces de diffusion et de rencontres
que les opinions circulent. La dimension concrète d'une association
allant de la formation d'un bureau à l'organisation de
rencontres, ateliers et débats, est essentielle car elle donne une
dimension quantifiable, observable et réelle dans la société
aux libertés fondamentales sous-jacentes. Il y a un lien permanent
entre associations et libertés politiques nécessaires au
fonctionnement démocratique.
Les récentes applications de la loi dite Séparatisme ont ouvert
un problème juridique relatif à la liberté d'expression. En
cela, l'affaire Alternatiba Poitiers est particulièrement intéressante.
Le préfet de la Vienne a demandé le retrait des subventions
accordées à Alternatiba du fait de la tenue d'un
atelier de désobéissance civile, estimé contraire au CER. Les
collectivités territoriales concernées n'ont pas donné suite à la
demande du préfet, ce dernier saisit alors le juge administratif
par un déféré préfectoral le 28 octobre 2022. Le tribunal
administratif rejette la demande du préfet par sa décision du
30 novembre 2023, estimant qu'en l'espèce l'association n'a
pas incité à entreprendre des actions susceptibles d'entraîner
des troubles à l'ordre public 36
. Le juge resserre les critères du
CER, sans en donner une portée générale.
Dans ce cas d'espèce, la promotion de la désobéissance civile
n'entre pas en conflit avec les valeurs de la République et les
droits fondamentaux cités par la loi Séparatisme. Toutefois,
l'imprécision de la loi et du décret d'application, soulignée
récemment par le rapporteur public M. Laurent Domingo,
questionne sur ce qui peut être sanctionné. Sur ce point, les
différents mémoires de défense présentés par des associations
pour soutenir la requête reposent sur une analyse de
la jurisprudence de la CEDH. Cette dernière estime en effet
qu'il « est de l'essence de la démocratie de permettre la proposition
et la discussion de projets politiques divers, même
ceux qui remettent en cause le mode d'organisation actuel
d'un État, pourvu qu'ils ne visent pas à porter atteinte à la
démocratie elle-même » 37
. Dans la même décision, la Cour
rappelle qu'il n'y a pas de « démocratie sans pluralisme. C'est
pourquoi la liberté d'expression consacrée par l'article 10
vaut, sous réserve du paragraphe 2, non seulement pour les
" informations " ou " idées " accueillies avec faveur ou considérées
comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour
35 J.-L. Laville, « La raison d'être des associations », in J.-L. Laville, A. Caillé, et
P. Chanial (dir.), Association, démocratie et société civile, 2001, La Découverte,
Recherches, p. 61-140, spéc. p. 64.
36 TA Poitiers, 3e ch., 30 nov. 2023, nos
2202694 et 2202695.
37 CEDH, 12 nov. 2003, n° 26482/95, Affaire Parti socialiste de Turquie et autres
c/ Turquie, § 43.
80
Re vue du dr oit public * Sept embr e 2024
Revue - Revue du droit public et de la science politique en France et à l'étranger N°3-2024

Table des matières de la publication Revue - Revue du droit public et de la science politique en France et à l'étranger N°3-2024
