Revue - Revue du droit public et de la science politique en France et à l'étranger N°4-2024 - 114

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ARTICLES
Armand desPrairies
Maître de conférences en droit public à l'université de Reims Champagne-Ardenne, CRDT
La décision Ocana ou l'anti-Dame Lamotte ? RDP200k6
Commentaire sous CE, 7e
et 2e ch. réunies, 16 févr. 2024, n° 470577,
M. Ocana : Lebon T.
L'ESSENTIEL
La décision Ocana rejetant la demande de retrait de la Légion d'honneur à Francisco Franco repose sur un raisonnement
juridique contestable. L'auteur met en garde sur l'utilisation extensive - et abusive - du mécanisme de
validation décrétale permettant au gouvernement de sécuriser de manière rétroactive le risque d'annulation en
cours d'instance d'une décision administrative. Par ailleurs, il propose d'étudier la sortie de vigueur de la Légion
d'honneur sous l'angle de la condition extinctive, ce qui pourrait clarifier à l'avenir son régime juridique et ainsi
revenir sur certaines décorations litigieuses y compris post mortem.
L
e message jurisprudentiel délivré par la décision Ocana
s'inscrit à rebours de l'esprit de la décision Dame
Lamotte 1
, traduisant l'état de fébrilité du Conseil
d'État sur les questions mémorielles. En effet, si les deux décisions
portent bien sur l'intervention en cours d'instance d'un
jurislateur, la solution adoptée est diamétralement opposée.
En 1950, le Conseil d'État consacre le droit au recours même
en cas de volonté contraire du législateur. En 2024, il suit le
gouvernement qui avait expressément exclu toute possibilité
de contestation juridictionnelle.
En l'espèce, Monsieur Ocana, issu d'une famille de républicains
ayant subi la répression franquiste, a sollicité le grand
chancelier de la Légion d'honneur pour qu'il propose au président
de la République de retirer, post mortem, la distinction
de la Légion d'honneur à Francisco Franco. À la suite de son
refus intervenu le 12 avril 2016, et du rejet du recours gracieux
notifié le 28 novembre 2016, le tribunal administratif
de Paris a été saisi d'une demande d'annulation de ces deux
décisions. Ce dernier a rejeté le recours le 16 février 2018 en
considérant qu'en l'absence de dispositions expresses du Code
de la Légion d'honneur, de la Médaille militaire et de l'ordre
national du Mérite, le retrait post mortem n'était pas possible 2
.
À hauteur d'appel, il n'a également pas eu gain de cause, mais
le raisonnement de la Cour fut différent. En effet, en cours
d'instance, le gouvernement a pris un décret du 21 novembre
2018 créant l'article R. 135-6 du Code de la Légion d'honneur.
Cet article exclut expressément le retrait post mortem de
la Légion d'honneur. La cour administrative d'appel tire les
conséquences de ce changement de l'état du droit. Au regard
de son office en tant que juge de l'excès de pouvoir qui lui
permet de prononcer une injonction à la date où il statue, il
1 CE, ass., 17 févr. 1950, n° 86949, ministre de l'Agriculture c/ Dame Lamotte :
Lebon, p. 110 ; G. Brébant et a., Les grands arrêts de la jurisprudence administrative,
24e
éd., 2023, Dalloz, n° 55.
2 TA Paris, 16 févr. 2018, n° 1706301, M. Ocana : AJDA 2018, p. 798, note
T. Hochmann.
considère que le recours de Monsieur Ocana est désormais
devenu sans objet dès lors que le grand chancelier ne peut
plus retirer la Légion d'honneur aux personnes décédées. La
Cour prononce alors un non-lieu à statuer le 18 novembre
2022 3
.
En cassation, le Conseil d'État décide de joindre les deux
demandes de Monsieur Ocana. La première est relative au
pourvoi portant sur la demande d'annulation de l'arrêt de la
Cour. La deuxième est la requête où il est saisi en premier et
dernier ressort et donc pour la première fois, sur le recours en
excès de pouvoir dirigé contre la décision implicite de rejet
de la Première ministre d'abroger les dispositions de l'article
R. 135-6 du Code de la légion d'honneur, issu de l'article 19
du décret du 21 novembre 2018 excluant toute action en
retrait de la Légion d'honneur contre une personne décédée.
La haute juridiction a décidé de rejeter la requête le 16 février
2024 en suivant le raisonnement de la cour administrative
d'appel : les nouvelles dispositions du Code de la Légion
d'honneur modifiées en cours d'instance font obstacle, à la
date où la cour avait statué, à toute action tendant au retrait
des distinctions accordées à F. Franco, à partir du moment où
celui-ci est décédé.
Ainsi, le Conseil d'État se réfugie derrière une interprétation
stricte (et contestable) du droit au recours à la suite d'un changement
de l'état du droit qui prend la forme d'une validation
décrétale en cours d'instance. En effet, le décret n° 2018-1007
du 21 novembre 2018 empêche toute possibilité de contestation
des attributions de la Légion d'honneur aux personnes
décédées. La Légion d'honneur octroyée au « généralissime
Francisco Franco Bahamonde » 4
pour ses faits d'armes lors de
la guerre coloniale franco-espagnole du Rif (1921-1926) aux
côtés de Philippe Pétain a donc été maintenue. L'écart entre
3 CAA Paris, 18 nov. 2022, n° 18PA01266, M. Ocana : AJDA 2023, p. 1, tribune
de C. Broyelle.
4 Formule employée par la cour administrative d'appel : CAA Paris, 18 nov. 2022,
n° 18PA01266, Ocana.
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