Revue - Revue du droit public et de la science politique en France et à l'étranger N°4-2024 - 29

Débat
produit 78
: « Ce n'est pas la qualité de l'organe qui fait l'interprétation
authentique, c'est l'interprétation authentique qui
fait l'organe » 79
.
Concernant la possibilité des interprétations doctrinale et
analytique, Michel Troper rappelle simplement que la TRI ne
les exclut pas, mais qu'elles sont simplement sans lien avec
son objet, qui est d'apprécier l'interprétation en droit. Or,
nous dit-il : « Même si l'on admettait que l'interprétation doctrinale
est analytique, cela n'aurait aucune incidence sur la
théorie du droit, parce que même s'il y avait une signification
véritable, la signification des énoncés en droit resterait toujours
indépendante de cette signification véritable, de même
que la validité des qualifications juridiques est rigoureusement
indépendante des qualifications données par la science » 80
.
La possibilité, voire l'éventuelle actualité d'une interprétation
analytique n'atteindrait pas la TRI, en ce qu'elle serait inerte
relativement aux interprétations juridiques, qui ne sont ou ne
seraient pas liées par elle.
Est ensuite réfutée l'idée que la TRI présupposerait l'existence
de l'interprétation analytique, comme condition de l'appréhension
de la normativité des interprétations authentiques.
Pour Otto Pfersmann en effet, assimiler les interprétations
authentiques à des normes c'est faire œuvre interprétative
donc, en vertu même des définitions de la TRI, c'est commettre
un acte de volonté, incompatible avec la vocation
scientifique invoquée. Une telle critique découle du fait
qu'Otto Pfersmann « emploie le mot " interprétation " dans
un sens beaucoup plus large et sensiblement différent de
celui que lui donne la TRI » 81
. L'identification de la norme
par une proposition de droit est susceptible d'être vraie ou
fausse : l'interprétation décrite par la proposition s'impose ou
non dans le système juridique en produisant des effets, elle est
authentique ou ne l'est pas. C'est la différence majeure qui la
distingue de l'interprétation textuelle visant à déterminer la
norme à partir du texte juridique, laquelle est prescriptive, et
n'est pas susceptible d'être vraie ou fausse, mais simplement
de produire des effets normatifs ou de ne pas en produire. Si
l'on tient à appliquer le terme « interprétation » à ces deux
opérations intellectuelles, il faut donc lui conférer un sens
distinct 82
.
La TRI n'enfreint pas plus la loi de Hume car elle ne prétend
pas « décrire un " domaine spécifiquement normatif " (...) si
l'on entend par [là] un devoir-être » 83
. La TRI comprend la
normativité au travers de ses propriétés empiriques, et non au
travers d'un quelconque concept d'obligation. Michel Troper
en profite pour rappeler la différence qu'elle entretient avec la
conception kelsénienne sur le plan sémantique : « Ce qui est
objet de connaissance n'est jamais la signification elle-même,
78 M. Troper, « Réplique à Otto Pfersmann », RFD const. 2002, n° 50, p. 342.
79 M. Troper, « Réplique à Otto Pfersmann », RFD const. 2002, n° 50, p. 348.
80 M. Troper, « Réplique à Otto Pfersmann », RFD const. 2002, n° 50, p. 345.
81 M. Troper, « Réplique à Otto Pfersmann », RFD const. 2002, n° 50, p. 345.
82 M. Troper, « Réplique à Otto Pfersmann », RFD const. 2002, n° 50, p. 346.
83 M. Troper, « Réplique à Otto Pfersmann », RFD const. 2002, n° 50, p. 346.
mais seulement l'attribution de la signification. Signification
et attribution de signification ne pourraient se confondre
que si l'on admettait qu'il existe une signification objective,
comme il existe un devoir-être objectif ». Or c'est précisément
pour contourner l'aporie à laquelle conduit le Sollen descriptif
(et l'idée d'une signification objective d'un acte de volonté)
que la TRI « admet qu'il n'y a pas de signification, mais seulement
des actes par lesquels une signification est attribuée » 84
lesquels sont l'objet de la connaissance scientifique.
,
Ces attributions produisent des effets tels que l'on peut parler
de normes 85
. Ceci n'exclut évidemment pas que les normes
ainsi créées produisent à leur tour des effets susceptibles d'une
observation scientifique, quoique ce ne soit pas l'objet de
la TRI 86
.
Cette compréhension de la norme n'entraîne nullement la
double régression envisagée par Otto Pfersmann : d'une part,
une régression à l'infini des normes, chaque nouvelle interprétation
de la norme supplantant la précédente ; et d'autre
part, une régression à l'infini de leur contenu, l'appréhension
du contenu de la norme supposant une interprétation qui se
matérialise par un énoncé lui-même susceptible d'interprétation.
Si la TRI est « une science dont l'objet est bien la
norme, mais la norme conçue non comme un devoir-être,
mais comme un fait, un énoncé. Ce fait reste un fait spécifique
: la science du droit décrit les énoncés dont l'objet est
de déterminer la signification normative d'autres énoncés ».
Alors ces faits sont finis 87
.
et les propositions qui les décrivent
également 88
IV. Conclusion
La controverse s'est prolongée et se prolonge encore. Elle
démontre que, factuellement du moins, aucune des positions,
de la TRI et de sa critique, n'a triomphé de l'autre. Présentet-elle
un intérêt quelconque ?
Thomas Samuel Kuhn a pu dire que « dans la mesure (...)
où deux écoles scientifiques sont en désaccord sur ce qui est
le problème et ce qui est la solution, elles s'engagent inévitablement
dans un dialogue de sourds en discutant les mérites
relatifs de leurs paradigmes respectifs. Dans la discussion
proche du cercle vicieux qui en résulte régulièrement, il apparaît
que chaque paradigme satisfait plus ou moins les critères
qu'il a lui-même dictés et reste incapable de satisfaire les critères
dictés par son concurrent (...). Comme dans le cas de la
concurrence entre deux normes, cette question des valeurs ne
peut trouver de réponse qu'en faisant intervenir des critères
qui sont totalement extérieurs à la science normale et c'est
ce recours à des critères extérieurs qui donne leur caractère
84 M. Troper, « Réplique à Otto Pfersmann », RFD const. 2002, n° 50, p. 347.
85 M. Troper, « Réplique à Otto Pfersmann », RFD const. 2002, n° 50, p. 350.
86 M. Troper, « Réplique à Otto Pfersmann », RFD const. 2002, n° 50, p. 350.
87 Les attributions de significations s'imposant au sein d'un système juridique donné
peuvent être individuées.
88 Elles peuvent être dites vraies ou fausses au terme d'un protocole de vérification
empirique.
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