Revue - Revue du droit public et de la science politique en France et à l'étranger N°4-2024 - 54

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A POSTERIORI
André Cocatre-Zilgien, « De quelques effets actuels
et éventuels de la ratification de la Convention
européenne des droits de l'Homme sur la politique
et le droit français » (RDP 1978, p. 621-678) RDP200k7
Mustapha aFroukh
Maître de conférences HDR en droit public à l'université de Montpellier (IDEDH - UR_UM205)
L'ESSENTIEL
Depuis 1894, la Revue du droit public a publié bien des articles. Cette rubrique propose de se retourner sur quelques pages
de cet impressionnant corpus, sans s'interdire de laisser errer le regard vers d'autres publications. Se saisissant d'un
article célèbre ou oublié, adoré ou abhorré, elle en rappelle le contexte, le contenu, la postérité... Il peut aussi s'agir, tout
simplement, de prendre pré-texte de ces lignes du passé pour examiner à nouveau frais le présent ou envisager le futur. Si,
comme l'écrivait Paul Valéry, nous entrons dans l'avenir à reculons, autant regarder avec attention ce que l'on voit.
L
es familiers de la littérature sur la Convention de sauvegarde
des droits de l'Homme et des libertés fondamentales
(ci-après Convention EDH) confesseront
tous à peu près la même chose : peu connaissent l'article
d'André Cocatre-Zilgien, qui fut professeur de droit public
à l'université de Paris XII, sur les effets de la ratification de la
Convention par la France, publié par la Revue du droit public
en 1978 (n° 3). Il n'est guère cité par la doctrine, contrairement
par exemple à l'étude d'envergure menée sur une
question assez proche par Alain Pellet en 1974 1
, ou même
en remontant un peu plus loin, à l'une des premières analyses
du système mis en place par la Convention EDH par Marcel
Merle 2
, publiées dans cette Revue.
Il faut dire que le texte est étonnant à deux titres : d'abord et
surtout, l'engouement de l'auteur pour la mise en place d'une
garantie juridictionnelle des droits au niveau supranational
peut surprendre ceux qui ont suivi de près sa carrière, laquelle
a été parfois distanciée à l'égard des droits de l'Homme.
Révélatrice est, à cet égard, la publication en 1972 d'un
essai controversé intitulé Remarques impertinentes sur la question
juive, ouvrage non épargné par la critique 3
, et en 1983
d'une consultation réalisée pour Jean-Marie Le Pen dans le
cadre d'un procès qui lui avait été intenté pour la diffusion
d'une affiche : « Un million de chômeurs, c'est un million
d'immigrés en trop : les Français d'abord » 4
« M. Le Pen m'ayant fait le compromettant honneur de me
choisir comme directeur d'une thèse qu'il envisage de faire sur
1 A. Pellet, « La ratification par la France de la Convention européenne des Droits de
l'Homme », RDP 1974, p. 1319-1379.
2 M. Merle, « La Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales
», RDP 1951, p. 705-725.
3 D. Bensimon, in Archives de sciences sociales des religions, vol. 37, 1974, Centre
national de la recherche scientifique, p. 201.
4 A. Cocatre-Zilgien, « L'affaire Le Pen (1980) : de quelques aspects de la " loi Pleven "
de 1972 », in Études dédiées à la mémoire du professeur Gérard Dehove, 1983, PUF,
p. 135 : S'interrogeant sur le point de savoir si les propos tenus par J.-M. Le Pen
dépassent les limites de la critique admissible, l'auteur répond par la négative en
récusant notamment l'application de la clause d'interdiction d'abus de droit de
l'article 17 de la Convention EDH au seul motif que ce dernier se présente régulièrement
aux élections...
. Il écrivait ainsi :
le problème de l'immigration en France, je crus de mon devoir
de lui fournir une consultation pour sa défense ». À y regarder
de plus près cependant, l'effet de surprise n'est que relatif.
L'article publié à la RDP n'est en effet pas exempt d'ambiguïtés
sur les droits des étrangers, l'auteur évoquant par exemple
« une porte ouverte à la subversion » (p. 673) à propos de
l'article 4 du protocole n° 4 à la Convention EDH qui interdit
les expulsions collectives d'étrangers. La qualification de la
clause d'interdiction d'abus de droit (Conv. EDH, art. 17),
instrument de défense de la société démocratique aujourd'hui
utilisé par la Cour européenne des droits de l'Homme pour
fustiger les discours racistes, antisémites ou homophobes, de
« principe gênant » (p. 657) est également symptomatique.
Sans doute est-ce cette part d'ombre qui explique que l'article
publié à la RDP, qui comporte pourtant des passages remarquables
sur ce que sera l'influence de la Convention EDH,
ne soit pas resté dans les annales. Ensuite, le titre retenu est
en décalage avec le contenu de l'article qui traite moins des
conséquences de la ratification de la Convention EDH que
des effets de l'éventuelle acceptation par la France du droit
de recours individuel devant la Commission européenne des
droits de l'Homme 5
. Comme on le sait, à l'origine, le droit de
recours individuel n'existait que sur une base volontaire avec
un système de déclaration facultative d'acceptation (Conv.
EDH, art. 25 anc.). Aussi, si la France a ratifié avec beaucoup
de retard la Convention en 1974, au grand dam de René
Cassin qui alla jusqu'à menacer de démissionner de son poste
de président de la Cour européenne des droits de l'Homme
pour créer un électrochoc 6
, il faudra encore attendre 1981
5 G. Cohen-Jonathan, « La reconnaissance par la France du droit de recours individuel
devant la Commission européenne des Droits de l'Homme », Annuaire fr.
dr. int. 1981, p. 269.
6 E. Decaux, « La France et la Convention européenne des droits de l'homme : un peu,
beaucoup, passionnément... », Revue québécoise de droit international déc. 2020,
n° HS, p. 255-270. Nul besoin de s'appesantir sur les raisons du retard français,
elles sont bien connues : une raison structurelle tenant à la crainte d'une perte de
souveraineté, exprimée notamment par un gaulliste de la première heure, l'ancien
garde des Sceaux Jean Foyer ; des éléments plus conjoncturels comme le refus de
rendre des comptes sur les violations des droits de l'Homme commises pendant la
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