Revue - Revue du droit public et de la science politique en France et à l'étranger N°4-2024 - 86

Articles
reconnaissent ont attisé de nombreuses critiques à l'égard de
la Cour. André Mba Obame, ex-candidat à la présidentielle
de 2009, la surnommait la « tour de pise » pour sa vocation à
pencher du côté du chef de l'exécutif 42
. Le dernier septennat
d'Ali Bongo a d'ailleurs été marqué par la formation d'un tandem
« chef de l'exécutif-Cour constitutionnelle » (A) dont les
conséquences n'ont pas tardé à se manifester par une multiplication
des atteintes aux libertés et droits fondamentaux (B).
A. De la consécration de la formation
d'un tandem « chef de l'exécutif-Cour
constitutionnelle »
Au fil des révisions constitutionnelles et des décisions contestées,
la Cour constitutionnelle semble s'être détachée progressivement
du peuple pour former un « dangereux tandem »
pour la démocratie avec le chef de l'exécutif, au point de devenir
une instance de validation des décisions du chef de l'État,
quelle qu'en soit la portée sur la démocratie. Cette sujétion de
la Cour au chef de l'exécutif lui a valu de nombreuses critiques
de la part des observateurs politiques et d'une partie de plus en
plus importante de la population gabonaise. Le renforcement
du pouvoir du chef de l'exécutif s'est accompagné de critiques
jugées parfois virulentes sur la Cour constitutionnelle et ses
membres. C'est dans ce contexte qu'intervient l'ordonnance
n° 010/PR/2021 du 6 septembre 2021, modifiant et complétant
la loi organique n° 9/91 du 26 septembre 1991 sur la
Cour constitutionnelle. Désormais, toute personne physique,
morale, organe et agent de presse s'expose à de lourdes sanctions
pénales et/ou administratives en cas « de menaces, d'outrages,
de violences » à l'encontre de la Cour constitutionnelle
ou de l'un de ses membres 43
. Le caractère relativement vague
de cette disposition est susceptible d'entraver le libre exercice
de la liberté d'expression et, en conséquence, de censurer les
organes ou agents de presses nationaux. L'introduction de
certaines notions telles que l'outrage pourrait, en fonction de
l'interprétation du juge constitutionnel, s'appliquer à toutes
publications ou expression de convictions qui soient critiques
vis-à-vis de la Cour constitutionnelle. D'après le lexique
des termes juridiques, l'outrage est défini comme étant une
« expression menaçante, diffamatoire ou injurieuse propre à
diminuer l'autorité morale de la personne investie d'une des
fonctions de caractère public désignée par la loi » 44
.
Similairement, le juge constitutionnel devient en quelque
sorte juge et partie. En effet, il s'arroge le pouvoir judiciaire
en ayant la possibilité d'infliger des amendes directement,
de prononcer l'inéligibilité, d'ordonner la prise de sanctions
administratives à l'égard des personnes morales ou physiques
incriminées. Additionnées à toutes ces mesures, sans
42 Ord. n° 010/PR/2021, 6 sept. 2021, modifiant et complétant la loi organique
n° 9/91 du 26 septembre 1991 sur la Cour constitutionnelle, art. 1er
10 sept. 2021.
nouv. : JO,
43 Ord. n° 010/PR/2021, 6 sept. 2021, modifiant et complétant la loi organique
n° 9/91 du 26 septembre 1991 sur la Cour constitutionnelle, art. 13a nouv. :
JO, 10 sept. 2021.
44 S. Guinchard et T. Debard, Lexique des termes juridiques, 2013, Dalloz, p. 613.
faire de distinction entre les propos jugés diffamatoires et les
menaces ou les actes de violence, la Cour ordonne au parquet
et aux forces de sécurité, « dès leur saisine, d'intervenir
immédiatement en apportant leur concours aux membres de
la Cour constitutionnelle par l'interpellation et l'arrestation
des auteurs des faits constitutifs des infractions suscitées » 45
.
Dans le cadre de la décision n° 004/CC du 29 mai 2023,
la Cour s'est autosaisie pour condamner symboliquement
M. Edmond Okemvele Nkogho pour avoir critiqué son
action et dénoncé, dans une lettre, la promiscuité qui existe
entre le chef de l'exécutif et cette institution 46
. Les griefs portés
à l'encontre de ce dernier ont été ainsi résumés : « Dans
chaque ligne de sa correspondance (...) Monsieur Edmond
Okemvele Nkogho a, tour à tour, traité la Cour constitutionnelle
de juridiction qui, à travers ses décisions, fait et défait
malicieusement et sans limite la Constitution et les lois par
ses décisions d'interprétation qu'il juge léonines et dont les
buts inavoués sont le renforcement des prérogatives du président
de la République pour lui garantir un pouvoir à vie ;
que pour lui, la Cour constitutionnelle devient ainsi le pouvoir
et le contre-pouvoir qui se substituent à la fois à l'exécutif
et au Parlement (...) qu'il ajoute qu'il n'est pas raisonnable
que des citoyens et les médias qui dénoncent de tels faits en
interpellant la Cour constitutionnelle soient sanctionnés,
alors que ladite juridiction est censée garantir les droits fondamentaux
de la personne humaine et les libertés publiques
dont la liberté d'expression et la liberté de la presse » 47
.
En outre, alors que les membres de la Cour constitutionnelle
gabonaise dénient, dans une certaine mesure, la liberté d'expression
aux agents de presse, ils s'exonèrent de poursuites
judiciaires durant ou après la cessation de leur fonction « à
l'occasion des opinions ou des votes émis par [eux] dans
l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de [leurs] fonctions » 48
.
B. Des conséquences sur la protection
des libertés et des droits fondamentaux
La nécessité pour la Cour constitutionnelle de s'autosécuriser
intervient dans le contexte de la quatrième révision constitutionnelle
sous la présidence d'Ali Bongo Ondimba qui a
eu lieu quelques mois plus tôt. C'est une révision qui s'inscrit
dans le cadre d'un renforcement des pouvoirs du chef
de l'exécutif et de l'affaiblissement des institutions. La loi
n° 046/2020 du 11 janvier 2021 introduit à l'article 7 de la
45 Ord. n° 010/PR/2021, 6 sept. 2021, modifiant et complétant la loi organique
n° 9/91 du 26 septembre 1991 sur la Cour constitutionnelle, art. 13a nouv. :
JO, 10 sept. 2021.
46 C. const., 29 mai 2023, n° 004/CC, relative à la lettre de Monsieur Edmond
Okemvele Nkogho faisant outrage, menaces, violences et voies de fait à l'endroit
de la Cour constitutionnelle, de son président et des autres membres de la haute
juridiction : JO, 8 juin 2023.
47 C. const., 29 mai 2023, n° 004/CC, relative à la lettre de Monsieur Edmond
Okemvele Nkogho faisant outrage, menaces, violences et voies de fait à l'endroit
de la Cour constitutionnelle, de son président et des autres membres de la haute
juridiction : JO, 8 juin 2023, § 2, 3.
48 Ord. n° 010/PR/2021, 6 sept. 2021, modifiant et complétant la loi organique
n° 9/91 du 26 septembre 1991 sur la Cour constitutionnelle, art. 13b nouv. :
JO, 10 sept. 2021.
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