Revue - Revue des contrats 1-2024 - 101

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Dossier
La place de la société dans le pacte
d'actionnaires : tiers, partie, en présence
de, etc.
Même lorsque la société dont les titres font
l'objet d'un pacte d'actionnaires reste étrangère
à la conclusion de ce dernier, elle demeure un
tiers particulièrement intéressé à l'exécution de
celui-ci. Cette position singulière au regard du
pacte ne suffit toutefois pas à en assurer la pleine
efficacité et, en pratique, il est donc fréquent que
la société soit amenée à le signer afin de jouer
le rôle de « gardienne du pacte ». L'expression
est séduisante, mais la réalité à laquelle elle
correspond est parfois difficile à saisir. En effet,
si faire de cette société une partie à part entière
du pacte paraît excessif, la prudence commande
de ne pas trop en escompter pour autant un
renforcement de l'opposabilité du pacte à son
égard.
détermine qui sont ses actionnaires et parfois dans quel sens ces derniers
votent. Deuxièmement, la pratique contemporaine des affaires
s'efforce par différents moyens de ne pas laisser la société, dont les
droits sociaux font l'objet du pacte, totalement étrangère à celui-ci (3)
.
Tantôt le pacte lui est notifié, tantôt elle atteste qu'il a été établi en sa
présence. Plus rarement, elle le signe en tant que partie.
Une telle multiplicité interpelle et conduit à se demander si parfois il
n'y a pas en la matière de fausses bonnes idées voire quelques idées
reçues (4)
. Épineuse question donc que celle de savoir quelle est ou
peut être la place de la société dans les pactes d'actionnaires.
A priori, pourtant, l'alternative est simple en droit des contrats. Elle
est soit un tiers au pacte, soit une partie à celui-ci.
Bien que ces notions aient fait l'objet de vives discussions doctrinales
à partir des années 1990, ces controverses ne sont ici guère
gênantes. Leur enjeu principal était, en effet, de déterminer quelles
étaient les personnes pouvant être qualifiées de parties au contrat
au stade de l'exécution de celui-ci (5)
. En revanche, au stade de sa
Par Jean-François Hamelin
Professeur à l'université de Bourgogne, directeur du magistère de droit des
affaires
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S
'intéresser aux pactes d'actionnaires, c'est envisager un
contrat qui, comme l'expression l'indique, lie entre eux les
actionnaires (1)
principe, à être son propre actionnaire (2)
. Or, une société par actions n'a pas vocation, en
. Par conséquent, la société
devrait, de prime abord, rester étrangère aux pactes par lesquels ses
actionnaires se lient. Autrement dit, elle n'y aurait pas sa place et il
n'y aurait donc pas de sujet.
Rassurez-vous deux raisons conduisent néanmoins à ne pas se satisfaire
d'un tel constat. Premièrement, à l'instar du débiteur cédé dans
une cession de créance, la société est au moins un tiers particulièrement
intéressé par le pacte conclu par ses actionnaires, puisqu'il
NDA : Le style oral de l'intervention a été conservé.
(1) Les associés de SARL seront néanmoins parfois également envisagés dans le
cadre de cette contribution.
(2) C. com., art. L. 225-206.
formation, aucun bouleversement des conceptions traditionnelles
forgées autour du principe de l'effet relatif des contrats n'était véritablement
à noter. Or, en ce qui concerne la place de la société dans
les pactes d'actionnaires, tout se joue dès la conclusion du pacte,
puisqu'en cours d'exécution, si les actionnaires peuvent changer, la
société, quant à elle, demeure.
Cependant, même en se cantonnant à la formation d'un contrat, il
faut se méfier des apparences et il ne suffit pas de constater qu'une
personne a signé un contrat pour en déduire ipso facto que celleci
est une partie cocontractante (6)
. Ainsi, lorsqu'un notaire signe un
acte authentique ou qu'un avocat contresigne un acte sous signature
privée, il demeure un tiers à cet acte. Ce n'est donc pas parce qu'une
société signe le pacte conclu par ses actionnaires qu'elle cesse d'être
un tiers à celui-ci pour devenir une partie cocontractante à part
entière. Encore faut-il pour être partie à un contrat que la signature
de celui-ci ne vaille pas authentification, autorisation ou autre, mais
bel et bien consentement à ses effets.
(3) J. Heinich et a., Les pactes d'affaires, 2021, LGDJ, p. 92-93, n° 90, EAN :
9782275092270.
(4) V. pour la dénonciation de quelques idées reçues sur un autre aspect des
pactes, E. Lamazerolles, « Quelques idées reçues sur les pactes d'associés », JCP E
2019, 1349.
(5) V. not. J. Ghestin, « Nouvelles propositions pour un renouvellement de la distinction
des parties et des tiers », RTD civ. 1994, p. 777.
(6) J. Flour, J.-L. Aubert et E. Savaux, Droit civil. Les obligations. L'acte juridique,
17e
éd., 2022, Sirey, n° 658.
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