Revue - Revue des contrats 1-2024 - 11

Théorie générale
les juges du fond n'avaient pas ce pouvoir, avant de changer d'avis
en 1982 (6)
, puis de revenir à sa position initiale en 2001 (7)
de décider, en 2015, que « la stipulation d'une condition suspensive
sans terme fixe ne peut pour autant conférer à l'obligation un caractère
perpétuel » et de soutenir les juges du fond d'avoir décidé que
« les parties avaient eu la commune intention de fixer un délai raisonnable
pour la réalisation de la condition suspensive » (8)
.
5. En affirmant, dans l'arrêt commenté, que « l'engagement affecté
d'une condition suspensive sans terme fixe subsiste aussi longtemps
que la condition n'est pas défaillie et ne peut prendre fin par la
volonté unilatérale de l'une des parties », la troisième chambre civile
a-t-elle, une nouvelle fois, changé d'avis ? Autrement dit, cet arrêt
condamne-t-il la recherche d'un délai d'accomplissement tacite ? Un
auteur a pu le soutenir (9)
, avant, enfin,
. Il nous semble pourtant que rien, en droit,
ne peut justifier un nouveau temps de la valse et que tel n'est pas, en
fait, la portée de l'arrêt.
6. En droit, la première chambre civile de la Cour de cassation avait
affirmé, dans un arrêt du 4 juin 1991, que « la stipulation d'une condition
suspensive sans terme fixe ne confère pas à l'obligation un
caractère perpétuel et que le contrat subsistait aussi longtemps que
la condition suspensive n'était pas défaillie » (10)
. Cette affirmation,
que la haute juridiction n'avait nullement motivée, était particulièrement
étonnante. Un contrat conclu sous condition suspensive est un
contrat d'ores et déjà valable. La condition suspensive n'a, en effet,
pas d'incidence sur la création du lien contractuel. Elle joue, en aval,
sur les effets de ce lien. Par exemple, si l'effet du contrat est obligationnel,
les obligations n'existent pas encore, pendente conditione.
Les parties, d'ores et déjà contractantes, ne sont ainsi pas encore
débitrices et créancières l'une de l'autre. Il n'empêche qu'elles sont
donc liées indéfiniment, potentiellement pour toute leur vie, dans
l'attente de la dissipation de l'incertitude, ce qui est la marque de la
perpétuité. Dans l'arrêt de 1991, la Cour de cassation avait considéré
que l'obligation n'avait pas « un caractère perpétuel », ce qui allait de
soi puisque, par l'effet de la condition suspensive, elle n'existait pas
encore... Toutefois, elle avait cru pouvoir en déduire que le « contrat
subsistait aussi longtemps que la condition suspensive n'était pas
défaillie », comme si la prohibition de la perpétuité ne concernait que
le lien d'obligation, à l'exclusion du lien contractuel...
7. Cette solution n'avait pu être rendue que parce que, d'une part, elle
reposait sur la lettre de l'article 1176. Après tout, cette disposition
pouvait être considérée comme créant une dérogation à la prohibition
de la perpétuité des contrats, à une époque où la faculté de résiliation
unilatérale dans les contrats à durée indéterminée n'avait pas encore
acquis une dimension constitutionnelle (11)
. D'autre part, elle prospérait
sur l'incertitude qui régnait alors sur le principe même de la pro(6)
Cass. 3e
RTD civ. 1983, p. 131, obs. F. Chabas.
(7) Cass. 3e
civ., 19 déc. 2001, n° 99-15682 : RTD civ. 2002, p. 299, obs. J. Mestre
et B. Fages ; D. 2002, p. 1586, note H. Kenfack ; Contrats, conc. consom. 2002,
comm. 57, obs. L. Leveneur.
(8) Cass. 3e
civ., 20 mai 2015, n° 14-11851 : RDC déc. 2015, n° RDC112n9, note
M. Latina.
(9) J.-D. Pellier, « Retour sur la condition suspensive sans terme fixe », D. 2023,
p. 2070. Le signataire de ces lignes remercie vivement J.-D. Pellier de lui avoir
adressé sa note avant même sa publication.
(10) Cass. 1re
Defrénois 1992, n° 35212, p. 322, obs. J.-L. Aubert ; D. 1992, Jur., p. 170, note
M.-O. Gain ; D. 1992, Somm., p. 268, par E. Fortis.
(11) V. infra, n° 9.
civ., 4 juin 1991, n° 90-11295 : RTD civ. 1991, p. 737, obs. J. Mestre ;
(12) J.-D. Pellier, « Retour sur la condition suspensive sans terme fixe », D. 2023,
p. 2070, spéc. n° 2.
(13) J.-D. Pellier, « Retour sur la condition suspensive sans terme fixe », D. 2023,
p. 2070, spéc. n° 2.
(14) V. en ce sens, Cass. 3e
civ., 9 juill. 2014, n° 13-18745.
(15) Cass. 3e
civ., 9 juill. 2014, n° 13-18745.
(16) V. infra, n° 9.
Revue des contRats 1 - MaRs 2024
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hibition des contrats perpétuels, qu'aucun texte de portée générale
ne consacrait. Aujourd'hui, le voudrait-il, le législateur ne pourrait
plus interdire la résiliation d'un contrat dont la durée est indéfinie.
Quant à la prohibition des contrats perpétuels, elle ne souffre plus
d'aucune ambiguïté. Comme on l'a vu, le principe en vertu duquel
« s'il n'y a point de temps fixe, la condition peut toujours être accomplie
et elle n'est censée défaillie que lorsqu'il est devenu certain que
l'événement n'arrivera pas » ne figure plus dans le Code civil. Mieux,
l'article 1210 du Code civil énonce que « les engagements perpétuels
sont prohibés ». Or, il n'échappera à personne que le législateur a
utilisé le terme générique d'« engagement ». Peu importe, ainsi, que
la perpétuité trouve son siège dans une obligation ou dans le contrat
lui-même ; dans tous les cas, c'est « l'engagement » qui en résulte qui
est prohibé, s'il est perpétuel. Autrement dit, ce n'est pas la source
de la perpétuité qui est prise en compte, mais son effet sur les parties
qui ne peuvent pas être engagées indéfiniment. Un auteur a contesté
l'application de ce principe aux contrats conclus sous condition suspensive
sans terme fixe, au motif que, dans cette hypothèse, « ce
n'est (...) pas l'obligation qui est perpétuelle, mais la condition ellemême,
ce qui n'est pas la même chose » (12)
y avoir une quelconque perpétuité prohibée » (13)
et qu'il « ne saurait donc
. L'argument peut ne
pas emporter la conviction. D'une part, parce que plus rien ne soustend
aujourd'hui la licéité des conditions suspensives perpétuelles.
D'autre part, parce que quand bien même la perpétuité de la condition
serait autorisée, celle de l'engagement qui en résulte est clairement
prohibée par l'article 1210 du Code civil. Or, il ne peut y avoir de
condition suspensive perpétuelle, sans contrat perpétuel.
8. En fait, à relire l'arrêt, on ne voit pas en quoi il remettrait en cause
la jurisprudence de 2015. En vertu de cette dernière, les juges, face
à une condition sans terme fixe, sont autorisés à rechercher l'existence
d'un terme tacite dans lequel la réalisation de la condition
serait enfermée. Or, affirmer, comme le fait la Cour de cassation
dans l'arrêt commenté, qu'il existe une « règle suivant laquelle l'engagement
affecté d'une condition suspensive sans terme fixe subsiste
aussi longtemps que la condition n'est pas défaillie et ne peut
prendre fin par la volonté unilatérale de l'une des parties » n'est pas
antinomique avec la faculté de découvrir un terme tacite. Une condition
« sans terme fixe » peut aussi bien viser une absence de terme
exprès que tacite (14)
. À notre connaissance, la Cour de cassation n'a
jamais affirmé que la réalisation d'une condition suspensive est toujours,
indépendamment de la volonté des parties, enfermée dans un
délai raisonnable (15)
. En effet, c'est toujours par interprétation de la
volonté des parties qu'elle a autorisé les juges du fond à découvrir un
terme. Autant dire que le champ de la règle réaffirmée par la Cour de
cassation dans l'arrêt commenté, aussi contestable soit-il (16)
, et celui
civ., 3 févr. 1982, n° 80-15794 : D. 1982, Somm., p. 532, obs. C. Larroumet ;
de l'arrêt de 2015 ne se recoupe pas. La première ne vaut que lorsque
la seconde ne s'applique pas, c'est-à-dire lorsqu'il n'y a aucun terme
fixe, exprès ou tacite. Autrement dit, ce n'est pas parce que la Cour de
cassation affirme, dans l'arrêt commenté, qu'en l'absence de terme
fixe, les parties ne peuvent pas résilier unilatéralement le contrat, que
le juge ne peut pas rechercher l'existence d'un terme tacite. Dans
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