Revue - Revue des contrats 1-2024 - 12

Théorie générale
ces conditions, il est très difficile de voir dans l'arrêt du 14 septembre
2023 un nouveau revirement, et ce d'autant que la question posée à
la Cour de cassation n'était pas de savoir si les juges pouvaient, ou
non, rechercher la volonté tacite des parties d'enfermer la réalisation
de la condition suspensive dans un certain délai.
9. Cela ne signifie pas, pour autant, que le principe réaffirmé, dans
le domaine qui est le sien, est pertinent. La troisième chambre civile
semble affirmer que si aucun terme, exprès ou tacite, n'est prévu,
les parties ne peuvent pas résilier unilatéralement le contrat (17)
, sauf,
et c'est l'apport essentiel de l'arrêt, si une clause autorisait spécifiquement
cette résiliation. En l'absence de clause, les parties seraient
alors tenues indéfiniment et donc potentiellement au-delà de leur
espérance de vie. Comment ceci pourrait-il être admissible ? Certes,
le contrat ne produit pas encore son effet caractéristique, compte
tenu de la présence de la condition suspensive. Il n'empêche que les
parties ont aliéné une part de leur liberté, le lien contractuel étant
déjà valablement conclu et devant être respecté compte tenu de
sa force obligatoire. Que l'on songe, par exemple, à une vente sous
condition suspensive, qui interdit, pendente conditione, au vendeur
de céder son bien à une autre personne. Lorsque la réalisation de la
condition suspensive n'est pas enfermée dans un délai, chaque partie
devrait, par application de l'article 1210 du Code civil, sauf à respecter
un délai de préavis, pouvoir résilier son engagement, cette faculté
étant d'ailleurs l'un des seuls principes contractuels dotés d'une
dimension constitutionnelle (18)
. Or, si le législateur ne peut déroger à
ce principe, comment la Cour de cassation pourrait-elle s'en affranchir
? Le préavis, tout en laissant encore un certain temps au hasard
de jouer, permettrait en outre au bénéficiaire exclusif de la condition
de renoncer à celle-ci, afin de faire produire ses effets au contrat, si
tel est son désir. Nulle atteinte ne serait donc portée à la sécurité
juridique par cette faculté de résiliation unilatérale.
10. On notera, pour finir, qu'il ne viendrait à l'esprit de personne de
considérer qu'une promesse unilatérale de contrat, dans laquelle
l'option ne serait pas enfermée dans un délai, subsiste indéfiniment,
sans que le promettant puisse la résilier (19)
. Pourquoi une vente sous
condition suspensive d'obtention d'un prêt, par exemple, pourraitelle
durer perpétuellement ? Qui ne voit qu'il suffirait à l'acquéreur de
ne pas solliciter le prêt pour maintenir, sans limite de durée, le vendeur
dans les liens du contrat ? C'est vainement que l'on répondrait
que l'acquéreur, en s'abstenant de demander le prêt, ferait défaillir
la condition suspensive et qu'elle devrait, en conséquence, être
réputée accomplie sur le fondement de l'article 1304-3 du Code civil.
En effet, en l'absence de limite temporelle, il serait toujours possible
que le prêt soit, à l'avenir, obtenu, ce qui empêche de considérer
que la condition a définitivement défailli, a fortiori par la faute de
l'acquéreur...
11. Dans ces conditions, on peine à comprendre pourquoi la Cour
de cassation a exhumé le principe en vertu duquel « l'engagement
affecté d'une condition suspensive sans terme fixe subsiste aussi
(17) Cass. com., 6 mai 2003, n° 00-18915.
(18) Cons. const., DC, 9 nov. 1999, n° 99-419 : « Le contrat étant la loi commune des
parties, la liberté qui découle de l'article 4 de la Déclaration de 1789 justifie qu'un
contrat de droit privé à durée indéterminée puisse être rompu unilatéralement par
l'un ou l'autre des contractants ».
(19) Cass. com., 27 janv. 2021, n° 18-22492 : « Une promesse unilatérale de vente
à durée indéterminée, qui doit demeurer tant que le bénéficiaire n'a pas renoncé
à acquérir les parts sociales et que l'engagement des promettants ne peut être
rétracté sans que l'autre partie soit préalablement mise en demeure d'accepter ou
de refuser l'achat ».
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longtemps que la condition n'est pas défaillie et ne peut prendre fin
par la volonté unilatérale de l'une des parties », surtout s'il s'agissait
de préciser immédiatement, en substance, que ce principe n'est pas
d'ordre public et que les parties peuvent y déroger par une clause.
L'intérêt de l'arrêt ne concerne ainsi pas tant la durée de la condition
sans terme fixe que l'étendue de l'effet de la condition suspensive.
II. L'étendue de l'effet de la condition
suspensive
12. Comme on l'a vu, une condition suspensive n'affecte pas la formation
ou la validité du contrat. Un contrat conclu sous condition
suspensive est un contrat d'ores et déjà conclu, auquel les normes
supra-contractuelles d'intangibilité, d'irrévocabilité et de bonne foi
s'appliquent. C'est la raison pour laquelle l'article 1304-5 du Code civil
énonce, d'une part, qu'« avant que la condition suspensive ne soit
accomplie, le débiteur doit s'abstenir de tout acte qui empêcherait la
bonne exécution de l'obligation » et, d'autre part, que « le créancier
peut accomplir tout acte conservatoire et attaquer les actes du débiteur
accomplis en fraude de ses droits ». Pour expliquer ces effets,
il n'est donc nul besoin de recourir à un « germe d'obligation ». Ce
n'est pas ce « germe d'obligation », dont personne n'a jamais réussi à
cerner les contours, qui explique que les parties doivent respecter la
parole qu'ils ont donnée, mais la force obligatoire du lien contractuel
qui s'est nouée lors de l'échange des consentements, ce que Pascal
Ancel a parfaitement démontré (20)
. À cet égard, il est regrettable que
le législateur n'ait pas, à l'occasion de la réforme du droit des obligations,
gommé les expressions qui accréditent l'idée que l'obligation
existe d'ores et déjà pendente conditione, lorsque le contrat a été
conclu sous condition suspensive (21)
.
13. Mieux, c'est le lien entre, d'une part, l'obligation et, d'autre part,
la condition qui aurait dû être coupé. En effet, la condition suspensive
joue en amont de l'obligation, en bloquant l'effet caractéristique
du contrat, peu important qu'il soit translatif, extinctif, créateur d'une
obligation ou d'un droit quelconque. Ainsi, lorsque le contrat est
conclu sous condition suspensive, il n'éteint, ne transfère, ni ne crée
de droit ou d'obligation. Faire de l'obligation l'alpha et l'oméga de la
condition est erroné. De première part, parce que ce n'est pas l'obligation
qui est l'objet de la condition, mais le contrat lui-même, dont
l'effet est suspendu, quelle que soit sa nature. De seconde part, parce
que la condition suspensive perd sa spécificité au-delà de la création
des obligations contractuelles. Il n'y a pas, en effet, d'obligation
délictuelle soumise à une condition suspensive véritable. Où l'on voit
que la condition n'est donc pas tant une modalité (22)
qu'une modalité des contrats (23)
et que sa place naturelle n'est pas
dans le régime général des obligations, mais dans les dispositions
des obligations,
(20) P. Ancel, « Force obligatoire et contenu obligationnel du contrat », RTD civ.
1999, p. 771.
(21) V. not. l'article 1304-6 qui énonce que l'obligation « devient pure et simple »
en cas d'accomplissement de la condition et qu'elle « est réputée n'avoir jamais
existé, si la condition défaille ». Or, si l'obligation « devient » pure et simple et s'il faut
une fiction (« réputée ») pour dire qu'elle n'a pas existé, c'est bien qu'elle existait, au
moins partiellement, pendente conditione...
(22) Au sens de « manière d'être ».
(23) Ce qui ne veut nullement dire qu'elle affecte sa formation ou sa validité. Elle
ne concerne que ses effets.
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