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Théorie générale
d'un des contractants pouvaient justifier la rupture, « sans en caractériser
ni les éléments ni le degré de gravité » (17)
. Qui ne voit que la
cassation n'était pas intervenue, faute pour les juges du fond d'avoir
identifié des manquements contractuels, mais parce qu'ils n'avaient
pas mis les hauts magistrats en mesure de contrôler, même de façon
légère, la gravité du comportement.
7. Cette dimension « relationnelle » est parfaitement mise en lumière
dans l'arrêt commenté. En l'espèce, la société Calminia n'avait pas
commis de manquement contractuel stricto sensu. C'est vainement,
en effet, que l'on chercherait, dans l'arrêt d'appel, la référence à une
clause ou une obligation qui aurait été violée (18)
. C'est le climat délétère
qui s'était installé sur le chantier, au moins si l'on en croit les
constatations de l'arrêt d'appel, qui a justifié la rupture. Le contractant
ayant rompu invoquait d'ailleurs moins une inexécution de son
cocontractant que l'impossibilité dans laquelle il était d'exécuter la
sienne, compte tenu du comportement de son partenaire. En l'espèce,
il s'agissait donc d'une « rupture relationnelle », expression utilisée
par les juges du fond, et non d'une résolution pour inexécution
stricto sensu. L'arrêt sous examen est donc paradoxal, qui maintient
cette rupture pour « motifs d'une gravité suffisante », motifs d'ailleurs
étrangers à toute inexécution, alors même que les textes censés être
appliqués, à savoir les articles 1224 et 1226 du Code civil, offrent au
« créancier » la possibilité de résoudre unilatéralement le contrat, si
le « débiteur » est « défaillant », c'est-à-dire s'il s'est rendu coupable
d'une « inexécution suffisamment grave ». Comme on le verra, la
Cour de cassation a certes, en l'espèce, dispensé le contractant ayant
rompu de mise en demeure préalable, au motif que cette mise en
demeure était vaine. Mais, de toute façon, en l'absence d'inexécution
spécifique, quel aurait pu être le contenu de cette mise en demeure ?
Sommer le cocontractant de faire preuve de bonne foi ? De se comporter
avec politesse avec le personnel de la société Sodileve ?
8. On conviendra qu'il est parfaitement possible de considérer que,
par le comportement de son gérant, la société Calminia a manqué à
l'obligation d'exécuter le contrat de bonne foi. Ainsi, elle aurait manqué
à une obligation (19)
et l'arrêt commenté rentrerait dans le moule
des articles 1224 et 1226 du Code civil, quoiqu'en forçant un peu.
L'enseignement de l'arrêt serait alors que l'inexécution de l'obligation
de bonne foi est susceptible de justifier la résolution unilatérale du
contrat (20)
. Reste que, en visant la gravité du comportement d'une
partie, et non le caractère suffisamment grave de l'inexécution du
débiteur, la chambre commerciale ne semble pas avoir perçu le changement
de paradigme imposé par la réforme du droit des contrats
qui a fait passer le droit positif d'une rupture unilatérale pour motifs
comportementaux à une résolution pour inexécution somme toute
classique. Mieux, la haute juridiction semble avoir fait émerger, sous
l'empire du droit nouveau, un cas de rupture unilatérale, non pas
(17) Cass. com., 3 mars 2021, n° 19-22574 : RDC juin 2021, n° RDC200b0, note
F. Dournaux.
(18) On peut trouver trace du non-respect du calendrier d'exécution des travaux,
le dirigeant ayant donné des ordres aux salariés de son cocontractant.
(19) L'on sait toutefois que la qualification d'obligation contractuelle, appliquée à
la bonne foi, est controversée.
(20) Certains auteurs estimaient, au lendemain de l'arrêt de 1998, que la résolution
unilatérale était possible lorsque le manquement contractuel était grave, mais
également en cas de manquements moins graves, s'ils se doublaient d'une violation
de la bonne foi. V., par ex., Defrénois 30 mars 1999, n° 36953-17, p. 374, note
D. Mazeaud. Cet arrêt s'inscrirait alors dans le droit fil de cette opinion, la société
Calminia n'ayant pas respecté le calendrier des travaux et manqué à la bonne foi,
concomitamment.
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fondée sur l'inexécution suffisamment grave du contrat, mais sur
« l'impossibilité manifeste de poursuivre la relation contractuelle »,
les motifs de cette impossibilité pouvant être puisés en dehors de
l'inexécution proprement dite. C'est dire que, par cet arrêt, la chambre
commerciale pourrait avoir maintenu, dans le giron de la résolution
pour inexécution, l'hypothèse ancienne de la rupture relationnelle,
non nécessairement justifiée par un manquement contractuel. Où
l'on voit l'inertie que possède l'ancien droit des contrats, la « seconde
moitié » (21)
de la jurisprudence Tocqueville étant maintenue sous
l'empire d'un texte qui n'en consacre que la première.
Au regard de cette perspective, la consécration de la dispense de
mise en demeure, lorsque celle-ci est vaine, qui est pourtant au cœur
de la décision, apparaît de moins d'importance.
II. De l'inutilité de la mise en demeure
9. L'apport le plus évident de l'arrêt commenté est l'ajout, à côté
de l'urgence, d'une autre exception à la nécessité qui est faite au
créancier, dans l'article 1226 du Code civil, de mettre le débiteur en
demeure de satisfaire à ses obligations. La chambre commerciale
affirme, en forme de principe, que la mise en demeure « n'a cependant
pas à être délivrée lorsqu'il résulte des circonstances qu'elle est
vaine ». Mais, pour savoir dans quelles circonstances une mise en
demeure peut être considérée comme inutile, encore faut-il se pencher
sur l'objectif qu'a poursuivi le législateur lorsqu'il a imposé une
mise en demeure en matière de sanctions de l'inexécution. À l'occasion
de la réforme du 10 février 2016, la mise en demeure est devenue,
en effet, un préalable à toutes les sanctions de l'inexécution, à
l'exclusion de l'exception d'inexécution, de la demande de réduction
judiciaire du prix et de la résolution judiciaire (22)
. Ce faisant, le législateur
semble avoir souhaité qu'une chance à l'exécution spontanée
soit toujours laissée. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle l'exception
d'inexécution ne doit pas être précédée d'une mise en demeure.
En elle-même, cette sanction a pour but de parvenir à l'exécution
spontanée, ce qui rend la mise en demeure superfétatoire. Quant à
l'absence de référence à la mise en demeure en matière de réduction
judiciaire du prix, elle est un peu plus mystérieuse. Il aurait été cohérent
de ne pas exiger de mise en demeure, aussi bien en matière de
réduction unilatérale que judiciaire du prix. En effet, dans le système
de la réduction du prix, le créancier de la prestation mal exécutée
décide de se satisfaire de l'inexécution à condition que le prix soit
réduit à proportion de la prestation réellement accomplie. D'ailleurs,
la version initiale de l'article 1223 ne disait pas autre chose qui énonçait
que le créancier pouvait « accepter une exécution imparfaite » (23)
.
Pourquoi demander au créancier de mettre en demeure le débiteur
de s'exécuter alors qu'il est en droit de ne plus obtenir cette exécution
contre une réduction du prix ? Quoi qu'il en soit, on comprend
mal que la réduction unilatérale et la réduction judiciaire ne soient
pas traitées de manière identique vis-à-vis de la mise en demeure.
Est-ce parce que les sanctions judiciaires n'ont pas à être précédées
d'une mise en demeure, l'assignation en justice ayant toujours pour
effet de mettre en demeure le débiteur ? Peut-être. Mais le législateur
(21) V. n° 6.
(22) O. Deshayes, « La mise en demeure préalable aux sanctions de l'inexécution
contractuelle : état des lieux critique après la réforme de 2016 », RDC mars 2019,
n° RDC115x3.
(23) L'article 1223 a été modifié, par la loi de ratification du 20 avril 2018, pour les
contrats conclus après le 1er
octobre 2018.
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