Revue - Revue des contrats 1-2024 - 61

Contrats et droit des sociétés
nouvellement dégagé est appliqué dans chacune des trois affaires, ce
qui permet de mieux en saisir la portée.
II. L'application du principe
Dans un premier arrêt (13)
en ce qu'elle fait l'impasse sur des faits qui sont indispensables à
l'application de la règle de droit » (16)
. Cela laisse alors à penser que
, une promesse de cessions de parts sociales
avait été consentie par un promettant à une EURL « représentée par
son gérant » avant que la société ne soit immatriculée, l'acte mentionnant
par ailleurs que la société était en cours de formation (14)
.
Le promettant s'est ensuite rétracté, et pour échapper à l'exécution
forcée de la promesse de cession, il invoquait la nullité absolue de
la promesse, conclue par une société « en cours d'immatriculation,
et partant dépourvue de la personnalité morale ». Les juges du fond
avaient relevé que « la rédaction impropre des actes », quant à la qualité
du cessionnaire, était « sans emport eu égard à la connaissance »
qu'avait le promettant que le gérant « agissait pour le compte d'une
société en formation et non au nom de celle-ci ». Après avoir procédé
au revirement dans les termes précités, la Cour constate que les
juges du fond s'étaient fondés sur les « correspondances produites »
dont il résultait que le promettant « a été clairement informé avant
la signature de la promesse » que le gérant agissait pour le compte
d'une société en formation. La Cour de cassation constate en conséquence
que c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation
que la cour d'appel a fait ressortir que la commune intention
des parties était que l'acte soit conclu au nom ou pour le compte
d'une société en formation, afin qu'il puisse être ensuite repris, et
ce en dépit de la « rédaction impropre [...] quant à la désignation du
cessionnaire ».
Dans la deuxième affaire, un propriétaire avait conclu un bail commercial
avec une société « en cours de formation », et trois fondateurs
« agissant conjointement et solidairement entre eux ». Cinq
ans plus tard, alors que la société était en liquidation judiciaire, le
bailleur cherchait à échapper à la vente de gré à gré du fonds de
commerce en invoquant la nullité du bail conclu. Les juges du fond
avaient rejeté cette demande au motif que le bail indiquait que la
société était en formation et qu'une décision expresse des associés,
via les statuts, permettrait sa reprise automatique par la société une
fois les statuts signés et la société immatriculée. Cette motivation
est jugée insuffisante par la Cour de cassation qui reproche à la cour
d'appel de ne pas avoir recherché s'il « résultait de l'ensemble des
circonstances et notamment des mentions du bail, que nonobstant
une rédaction défectueuse, la commune intention des parties était
que l'acte fût passé au nom et pour le compte d'une société en formation
». Cet arrêt montre que la Cour de cassation entend bien
exercer un contrôle au fond de l'appréciation souveraine des juges
du fond, dont on peut se demander s'il ne va pas plus loin que celui
qu'elle exerce ordinairement au titre de la dénaturation. En dépit des
éléments relevés par la cour d'appel, l'arrêt est cassé pour manque
de base légale. La Cour de cassation estime donc que les éléments
relevés par la cour d'appel étaient insuffisants (15)
pour caractériser
la commune intention des parties : « Dans une telle hypothèse, la
décision est peut-être excellente mais la motivation est insuffisante,
(13) Cass. com., 29 nov. 2023, n° 22-21623.
(14) CA Papeete, 8 sept. 2022, n° 19/00450.
(15) J. F. Weber, « Comprendre un arrêt de la Cour de cassation rendu en matière
civile », BICC n° 702, 15 mai 2009 : « Pour qu'il y ait un manque de base légale, il
faut que la décision soit motivée, mais que les motifs soient insuffisants pour la
justifier en droit ».
les juges du fond auraient dû motiver leur décision non seulement en
se fondant sur les mentions de l'acte mais aussi sur « l'ensemble des
circonstances ».
La troisième affaire était sans doute la plus caractéristique des excès
de la jurisprudence antérieure. Un bail commercial avait été consenti
à une société en formation. Il y était indiqué que : la société était « en
cours d'identification au SIREN », l'opération était « au nom et pour
le compte de la société en formation dans le cadre des dispositions
des articles L. 210-1 à L. 210-9 du Code de commerce et de celles du
décret 67-236 du 23 mars 1967 », « la société (...) [était] représentée à
l'acte par ses seuls futurs associés », et enfin que « l'immatriculation
de la société au registre du commerce et des sociétés emportera de
plein droit reprise par elle » du bail qui sera réputé avoir été conclu
par la société dès l'origine. La société a été immatriculée six mois
plus tard et c'est à la suite d'un conflit entre associés que la nullité
du bail commercial a été demandée. La cour d'appel de Dijon a fait
droit à cette demande, faisant fi de toutes les mentions du bail qui
ne laissaient planer aucun doute quant à l'intention des parties de
conclure un bail pour le compte de la société en formation. Pour les
juges du fond, le bail avait été signé par les associés, non en leur nom
propre, mais en qualité de représentants de la société, et pour cette
raison, la nullité était encourue, cette dernière n'ayant pas la capacité
de contracter. Ce raisonnement conduit, du fait du revirement
opéré, à la cassation pour défaut de base légale. Les juges auraient
dû rechercher « s'il ne résultait pas, non seulement des mentions
de l'acte, mais aussi de l'ensemble des circonstances que, nonobstant
une rédaction défectueuse, la commune intention [des parties]
était que l'acte fût passé au nom ou pour le compte de la société en
formation ». On mesure ici l'intérêt du revirement opéré : les parties
avaient inséré plusieurs mentions dans l'acte afin de le placer dans le
champ du mécanisme légal des actes passés pour le compte d'une
société en formation. Seule la clause désignant les contractants était
mal rédigée. Au minimum, il était possible d'y voir une contradiction
entre plusieurs clauses du contrat, ce qui justifiait son interprétation
par le juge afin d'identifier la commune intention des parties, notamment
en donnant « à chacune [des clauses] le sens qui respecte la
cohérence de l'acte tout entier » (17)
. Le revirement est donc bienvenu
et on relèvera qu'alors même que les mentions de l'acte étaient ici
assez révélatrices de l'intention des parties, la Cour invite les juges
à interpréter le contrat en tenant également compte de « l'ensemble
des circonstances », ce qui témoigne une nouvelle fois de la marge
de manœuvre importante dont disposent désormais les juges, mais
aussi de la nécessité de bien motiver leur décision.
Cette affaire donne l'occasion à la Cour de retenir une autre solution.
En l'espèce, la société finalement immatriculée était d'une
autre forme sociale que celle mentionnée dans le bail, et surtout, les
personnes qui avaient signé le bail en tant que représentants de la
société n'étaient finalement pas devenues associées. La cour d'appel
en avait déduit qu'à cet égard également, le bail était irrégulier. La
Cour de cassation y voit une violation des articles L. 210-6 et R. 210-6
du Code de commerce au motif que « la validité de l'acte passé pour
le compte d'une société en formation n'implique pas, sauf les cas de
(16) J. F. Weber, « Comprendre un arrêt de la Cour de cassation rendu en matière
civile », BICC n° 702, 15 mai 2009.
(17) C. civ., art. 1189.
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