Revue - Revue des contrats 2-2024 - 23

Théorie générale
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Réflexions sur
la convention
d'occupation
précaire
La convention d'occupation précaire n'est
pas un bail, ce qui entraîne l'éviction de
l'article 1719 du Code civil de son régime,
article qui impose la délivrance dans le bail.
Mais elle doit tout de même être considérée
comme un contrat emportant mise à
disposition d'un local, ou d'une autre chose,
ce qui pourrait reconstituer une obligation
de délivrance, de garantie peut-être, sur le
fondement de l'article 1194 du Code civil
et des suites que l'équité, l'usage ou la loi
sont susceptibles de donner à la convention
d'après sa nature.
Cass. 3e civ., 11 janv. 2024, no
22-16974, FS-B
Par Rémy Libchaber
Professeur à l'école de droit de la Sorbonne (Paris 1)
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C
e n'est pas en ce qu'il traite de cet objet singulier qu'est la
convention d'occupation précaire que l'arrêt entrepris mérite
un commentaire intéressant la présente rubrique. Encore
qu'il s'agisse là d'un contrat d'une espèce très particulière, rétif à
toute systématisation, qui mérite assurément une réflexion doctrinale
attentive. Si l'arrêt appelle le commentaire, c'est surtout parce qu'il
n'a pas mobilisé un article que la situation litigieuse paraissait convoquer
: l'article 1194 du Code civil, aux termes duquel « les contrats
obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes
les suites que leur donnent l'équité, l'usage ou la loi » (1)
. Or cet article
complétif de la volonté participe du droit commun des contrats, ce
qui conduit à regretter qu'il n'ait pas été mobilisé. La délivrance d'un
local n'est-elle pas requise par la nature de la convention prévoyant
son occupation, même si elle ne s'analyse pas en un bail ? Plus précisément,
l'accord des parties sur sa mise à disposition ne provoquet-elle
pas l'intervention d'une obligation de délivrance du local par la
nature même de l'objet du contrat, même si une telle obligation n'est
pas stipulée au contrat ?
La situation dans laquelle s'inscrit l'arrêt n'a rien que de très ordinaire.
Propriétaire d'un vaste local, une société consentait au titulaire
(1) Sur cet article, v. P. Jacques, Regards sur l'article 1135 du Code civil, thèse,
2005, Dalloz, préf. F. Chabas, qui est consacrée à l'ancien article 1135 qui a précédé
l'article 1194, mais qui a conservé tout son intérêt en dépit de la transformation des
textes par l'ordonnance de 2016.
d'une société unipersonnelle une convention d'occupation précaire
à fin d'entreposage des marchandises, « à titre de dépannage ». Elle
était prévue pour durer 12 mois, avec une possibilité de renouvellement
pour les 11 mois suivants. Pendant cette occupation, un dégât
des eaux survenait qui endommageait les produits stockés, dégât
dont il n'a pas été possible de cerner précisément la cause, en dépit
d'une expertise. L'occupant s'en émouvait néanmoins en raison du
chiffre élevé de son préjudice, dont il demandait la réparation. Le tribunal
de grande instance de Bordeaux la refusait par une décision
du 31 janvier 2019. Sur appel interjeté par l'occupant, la cour d'appel
de Bordeaux infirmait la décision en estimant que « le constat [du
sinistre] caractérise le manquement de la société bailleresse à son
obligation de délivrance et justifie la demande indemnitaire (...) » (2)
.
La décision est censurée par la Cour de cassation, qui estime que
la convention d'occupation précaire n'étant pas un bail, l'obligation
de délivrance découlant de l'article 1719 du Code civil ne trouvait
pas à s'appliquer, de sorte qu'elle ne pouvait pas avoir été méconnue.
L'indemnisation du préjudice est donc contestée et, sur ce point,
l'arrêt se trouve remis entre les mains de la cour de Bordeaux, autrement
composée.
L'arrêt est tout de même surprenant, non en ce que la Cour a refusé
la mise en œuvre de l'article 1719, effectivement inhérent au bail,
mais en ce que l'on peut se demander si, en lui-même, le contenu de
la convention d'occupation précaire n'aurait pas dû tout de même
déclencher une obligation de délivrance. Certes, la convention ne
peut pas s'analyser en un bail ; elle n'en constitue pas moins un
contrat de mise à disposition d'un local, de sorte que les suites que
l'équité, l'usage ou la loi sont susceptibles de donner à la convention,
d'après sa nature (3)
, militaient pour la reconnaissance d'une obligation
de délivrance extérieure à tout texte de loi.
1. La convention d'occupation précaire est assurément un bien
étrange contrat - un contrat qui ne tire sa singularité que d'échapper
à la réglementation impérative des baux, qu'ils soient commerciaux,
ruraux ou d'habitation. Il semble que le législateur a désiré protéger
le locataire par des statuts de plus en plus contraignants, et qu'il
lui a paru utile, comme par contrecoup, de ménager aux parties une
poche de résistance où la liberté contractuelle pourrait jouer à plein.
La contradiction saute aux yeux, qui se dérobe à toute explication
simple : le même effort de soumission des parties à un statut entièrement
impératif, protecteur du locataire, a également conduit à l'émergence
d'une convention dérogatoire. Comme s'il fallait à toute force
tenir la balance égale entre des objectifs opposés : la soumission à
l'impérativité de la loi et la résistance de la liberté contractuelle (4)
. On
est habitués à la dialectique de la loi et de la liberté en présence de
règles supplétives de volonté ; comment en comprendre le maintien
face à des statuts marqués par une très exigeante impérativité ?
(2) CA Bordeaux, 29 mars 2022, n° 19/01481.
(3) On reprend ainsi les termes de l'ancien article 1135, plus expressif que son
successeur : « Les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé,
mais encore à toutes les suites que l'équité, l'usage ou la loi donnent à l'obligation
d'après sa nature ».
(4) Pour être juste, il faut noter que la soustraction au statut, notamment commercial,
est organisée de façon en réalité extensive, si l'on suit le recensement
jadis fait à partir des textes mêmes par Y. Guyon, « Les conventions conférant la
jouissance d'un local commercial sans entraîner l'application du décret du 30 septembre
1953 », JCP G 1974, I 2628.
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