Revue - Revue des contrats 2-2024 - 56

Contrats translatifs
202a4
Des limites de la
présomption de
solidarité en matière
de cession de
contrôle
Si les quatre associés ayant cédé le contrôle
de leur société à une autre sont tenus
solidairement de la garantie de passif envers
cette société cessionnaire en raison de la
commercialité de cette opération, le dirigeant
de la société cessionnaire qui a acquis
quelques parts auprès de l'un seulement
des quatre associés cédants ne peut se
prévaloir de la présomption de solidarité dont
a bénéficié sa société pour poursuivre en
garantie les cédants avec lesquels il n'a pas
contracté.
Cass. com., 24 janv. 2024, no
20-13755, F-B
Par Jean-François Hamelin
Professeur à l'université de Bourgogne, directeur du magistère de droit des
affaires
RDC202a4
1. L'un des enjeux de la qualification d'acte de commerce est souvent
l'application de la présomption de solidarité. Cette présomption n'est
cependant pas sans limites : c'est ce que l'arrêt rendu par la chambre
commerciale le 24 janvier 2024 vient rappeler à l'occasion d'une cession
de contrôle (1)
.
2. En l'espèce, quatre associés avaient, par quatre actes distincts
conclus le même jour, cédé 99 % des parts sociales de leur société à
une société cessionnaire. Par ailleurs, l'un des quatre associés céda,
là aussi le même jour, le pourcent restant au dirigeant de la société
cessionnaire. Dans chaque acte de cession, une garantie de passif
fut prévue. Or, ultérieurement, la société comme le dirigeant cessionnaires
assignèrent les quatre associés cédants aux fins de voir mettre
en œuvre cette garantie.
3. Par un arrêt en date du 19 décembre 2019, la cour d'appel de
Lyon condamna au titre de cette garantie les cédants à verser une
certaine somme aux cessionnaires « pris ensemble », à charge pour
ces derniers de se la répartir au prorata des parts sociales acquises.
Les quatre associés cédants formèrent un pourvoi à l'encontre de
cette décision. La lecture de l'arrêt rendu par la Cour de cassation ne
(1) Cass. com., 24 janv. 2024, n° 20-13755 : BJS mars 2024, n° BJS202v6, note
A. Tadros.
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Revue des contRats 2 - Juin 2024
7. Mais pour que plusieurs personnes soient tenues d'une même
dette, il ne s'avère en rien nécessaire pour autant que celles-ci s'engagent
par un même acte. Rien n'empêche en effet une personne
de souscrire simultanément voire a posteriori le même engagement
qu'une autre. Autrement dit, la pluralité d'instrumentum n'exclut
aucunement l'existence d'une unicité de negotium. Tel était le cas
en l'espèce. Chaque associé ne pouvant céder que les parts qui
étaient les siennes, des actes de cession distincts avaient été établis.
Néanmoins, dans chacun de ces actes, les quatre associés cédants
avaient souscrit le même engagement, à savoir une garantie de passif
envers la société cessionnaire.
8. Même si le fait que ces différents actes aient été conclus le même
jour peut constituer un indice du caractère unitaire de l'engagement
(2) M. Planiol et G. Ripert, Traité pratique de droit civil français, t. VII, Obligations,
avec P. Esmein, J. Radouant et G. Gabolde, 2e
éd., 1954, LGDJ, n° 1076 ; J. François,
Les obligations. Régime général, 6e
(3) C. civ., art. 1315.
éd., 2022, Economica, n° 290.
renseigne cependant en rien sur son contenu, puisque ce n'est que
sur un moyen relevé d'office que la Cour de cassation se prononce.
4. Plus précisément, par l'arrêt commenté, la chambre commerciale
casse au visa de l'ancien article 1202 du Code civil l'arrêt de la cour
d'appel de Lyon. En effet, après avoir rappelé que la solidarité ne se
présume pas, les hauts magistrats font valoir que le dirigeant cessionnaire
n'avait acquis de parts que de l'un des cédants. Or, comme il
agissait néanmoins contre l'ensemble d'entre eux, il entendait nécessairement
invoquer la solidarité passive dont bénéficiait la société
cessionnaire à l'encontre de l'ensemble des cédants avec lesquels
elle avait, quant à elle, contracté. Toutefois, une telle solidarité ne
pouvait produire d'effet à son égard, puisqu'il n'était pas le créancier
de l'ensemble des cédants et que la solidarité active ne se présume
pas.
En somme, si la solidarité passive a été présumée, la solidarité active
a été écartée.
I. La solidarité passive présumée
5. En énonçant que « la solidarité dont bénéficie la société Sati
envers l'ensemble des consorts [V] ne peut produire d'effet à son
égard » (§8), la chambre commerciale confirme qu'en l'absence de
clause prévoyant la solidarité passive des cédants et en dépit de la
conclusion de quatre actes de cession distincts, les cédants étaient
tenus solidairement envers la société cessionnaire. La solidarité passive
était donc en l'espèce présumée. Une telle présomption ne se
conçoit qu'en présence d'une unicité de la dette et suppose de caractériser
la commercialité de l'acte.
A. L'unicité de la dette
6. La conception traditionnelle de la solidarité passive conduit à
considérer que s'il existe une pluralité de liens obligatoires entre un
créancier et des débiteurs solidaires, ces derniers sont en revanche
tenus d'une même dette dont la particularité est de ne pas se diviser
entre eux (2)
. Ce principe d'unicité de la dette se retrouve en filigrane
dans la définition que le nouvel article 1313 du Code civil donne de la
solidarité passive, puisque celui-ci dispose que « la solidarité entre les
débiteurs oblige chacun d'eux à toute la dette ». Il irrigue également
nombre d'aspects du régime de la solidarité passive dont les exceptions
dites communes (3)
.

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