Revue - Revue des contrats 2-2024 - 82

Contrats internationaux
201y8
aucunement conditionnées par l'existence d'un élément d'extranéité
préalable (2)
Clauses attributives
de juridiction
et élément
d'extranéité : la Cour
de justice étend
le règlement
Bruxelles I bis
aux contrats
purement internes
Par un arrêt Inkreal très contestable, la
Cour de justice décide que la situation est
internationale, et le règlement n° 1215/2012
applicable, dès lors que les parties, établies
dans un État membre, décident de se
soumettre à la compétence des juridictions
d'un autre État membre, quand bien même
tous les éléments de la situation seraient
localisés dans leur État de résidence et que
la situation n'entretiendrait ainsi aucun lien
avec le juge élu.
CJUE, 8 févr. 2024, no
C-566/22, Inkreal
Par Bernard Haftel
Professeur à l'université Sorbonne Paris Nord, codirecteur de l'IRDA (UR 3970)
RDC201y8
L
80
a question de l'élément d'extranéité comme condition d'application
des règles de droit international privé est une question
relativement classique (1)
- et ici la Cour de justice de l'Union européenne - continuent régulièrement
d'achopper.
Comme on a pu le faire valoir, et contrairement à une croyance répandue,
la plupart du temps, les règles de droit international privé ne sont
(1) V. not. J.-L. Elhoueiss, « L'élément d'extranéité préalable en droit international
privé », JDI 2003, doctr. 100002, p. 39.
Revue des contRats 2 - Juin 2024
mais sur laquelle les uns et les autres
(2) V. not. en ce sens, V. Heuzé, La réglementation française des contrats internationaux
- Étude critique des méthodes, 1990, Joly, nos
195 et s. et 257 ; V. Heuzé, « La
notion de contrat en droit international privé », TCFDIP 1995-98, débats, p. 340 ;
G. Kegel, Internationales Privatrecht, 6e
éd., 1985, C. H. Beck, p. 1 et s. ; comp.
B. Remy, Exception d'ordre public et mécanisme des lois de police en droit international
privé, 2008, Dalloz, nos
114 et s.
(3) V. aussi B. Haftel, La notion de matière contractuelle en droit international privé
- Étude dans le domaine du conflit de lois, 2008, thèse Paris II, p. 1 et s.
. Ainsi, la loi applicable à la filiation d'une personne est la
loi nationale de sa mère au jour de sa naissance, la loi applicable à la
capacité à contracter est la loi nationale de l'individu, la loi applicable
à une succession est la loi de la dernière résidence habituelle du
défunt... sans qu'il y ait besoin de se demander s'il existe un élément
d'extranéité. Les affirmations précédentes sont toujours vraies, qu'il
existe ou non un élément d'extranéité (3)
.
Il n'en va différemment que lorsqu'existe une dualité de règles prévues,
les unes pour les relations internationales et, les autres, pour
les relations internes. L'hypothèse classique est celle de la portée du
principe d'autonomie en matière internationale, qui réside maintenant
dans la différence de domaine entre les articles , § 1, et 3, § 3,
du règlement Rome I et, surtout, l'hypothèse des règles matérielles
internationales.
L'arrêt Inkreal ici commenté illustre une de ces hypothèses à travers
la question du domaine d'application de l'article 25 du règlement
Bruxelles I bis relatif aux clauses attributives de juridictions.
En l'espèce, deux contrats de prêt avaient été conclus et exécutés
en Slovaquie, entre deux sociétés slovaques, établies en Slovaquie,
avant que les créances ne fussent cédées à une troisième société,
tout aussi slovaque que les précédentes.
La situation ressemblait donc, à s'y méprendre, à une situation purement
interne, destinée à être tranchée par les juges slovaques.
Mais c'était sans compter sur la circonstance que les parties avaient
inclus, dans les deux contrats de prêt, une clause attributive de juridiction
désignant les juges tchèques.
La question se posait dès lors de savoir si cette clause était valable et,
plus précisément, de savoir selon quelles règles cette validité devait
être envisagée : règles nationales ou règlement Bruxelles I bis ?
La question est ici extrêmement importante puisque, si certaines lois
nationales restent strictes à l'égard de telles clauses, tel que le droit
français à travers l'article 48 du Code de procédure civile, le règlement
Bruxelles I bis est en revanche très libéral, validant de telles
clauses en matière de droits disponibles sans véritables conditions et
notamment sans condition de commercialité ou de professionnalité.
Reprenant, par souci de cohérence, le critère de l'internationalité
prévu par l'article 3, § 1, du règlement n° 1896/2006 sur l'injonction
de payer européenne, la Cour de justice considère que le litige est
international dès lors qu'au moins l'une des parties réside dans un
autre État membre que celui dont les juridictions sont élues, ce dont
il résulte que la clause est ici valable, par application du règlement
Bruxelles I bis, dès lors que la clause désigne le juge tchèque alors
que les parties (et tous les éléments de la situation) sont slovaques.
La solution est désastreuse : elle a pour effet de désactiver toute règle
nationale qui, comme l'article 48 du Code de procédure civile, aurait
vocation à encadrer ou restreindre la possibilité pour les parties de
choisir leur juge dans un contrat purement interne. En conséquence,
en l'état de cette jurisprudence, deux particuliers français, établis et

Revue - Revue des contrats 2-2024

Table des matières de la publication Revue - Revue des contrats 2-2024