Droit & Pratique professionnelle - Guide des techniques de plaidoirie - 2e - 34

GUIDE DES TECHNIQUES DE PLAIDOIRIE
Le jeune juriste d'une entreprise de travaux publics, récemment recruté, se voit confier
par le directeur d'exploitation un petit dossier relatif à des impayés auxquels est
confrontée l'entreprise.
Le cas semble simple : l'entreprise a réalisé, dans le cadre d'un marché public, des
travaux pour le compte d'une importante collectivité territoriale de la région Île-deFrance
qui ne lui a pas réglé en retour ses factures correspondant. La qualité des
travaux n'a jamais été mise en cause, ceux-ci ont d'ailleurs donné lieu à une réception
sans réservede lapart du maîtred'ouvrage, gage de l'accord du maître d'ouvrage sur
les prestations réalisées. Plus encore, la collectivité ne conteste pas devoir les sommes
correspondantes aux travaux exécutés. Elle est simplement en retard de règlement pour
des problèmes de trésorerie.
Le directeur d'exploitation soumet donc ce dossier au jeune juriste de l'entreprise.
Après un rapide examen des pièces du dossier, au demeurant peu nombreuses - quelques
factures, le marché et des lettres de relance adressées à la collectivité - qui lui ont
été transmises, le juriste propose à sa Direction d'engager une action en justice, et plus
précisément une procédure de référé-provision. La somme n'étant pas sérieusement
contestable, la juridiction devrait ordonner son règlement sous astreinte, affirme sans
hésitation le juriste, heureux de pouvoir présenter une solution concrète et efficace à sa
Direction.
Le directeur d'exploitation de l'entreprise qui a parfaitement compris la situation pose
alors une question simple à son jeune salarié : dans quel délai maximal, cette action en
justice doit-elle être engagée ? Autrement formulée, la demande est celle de la prescription
de la créance ou de l'action. Le juriste répond facilement à cette question « de
cours ». S'agissant d'une créance publique, la prescription est de 4 ans.
Le directeur d'exploitation reprend donc l'initiative de l'échange, en reformulant sa
demande : « Je dois donc engager l'action au plus tard dans les 4 ans. C'est bien cela ? »
- «Oui », lui répond, sans hésitation, le juriste. Puis ce dernier de revenir sur sa proposition
visant à engager une action en référé-provision.
Le directeur d'exploitation de l'entreprise de travaux publics lui répond que la société
engagera une action... mais seulement dans 4 ans.
À cet arbitrage surprenant, le juriste ne cache pas son étonnement. Lui qui propose
d'engager une action en référé pour permettre à l'entreprise de recouvrer rapidement
les sommes qui lui sont incontestablement dues ne comprend pas la décision de retarder
de 4 ans l'action en paiement.
Amusé, le directeur lui explique : « Voyez-vous jeune homme, aujourd'hui, les taux d'intérêt
proposés par les banques sont très faibles, à peine plus de 1% par an. Si je récupère mon
argent aujourd'hui ou dans quelques semaines comme vous prétendez pouvoir le faire, et
que je place celui-ci, il me rapportera 1% par an... c'est-à-dire quasiment rien. En
revanche, les taux d'intérêt moratoires prévus par le Code de la commande publique qui
s'appliquent au retard de paiement des marchés publics sont bien plus élevés (pour les
marchés publics, ils sont de l'ordre de 8 points au-dessus du taux de REFI de la BCE). Il
est donc plus intéressant pour moi de laisser l'argent chez le client indélicat le plus longtemps
possible, c'est-à-dire 4 ans, car cela rapportera davantage. Huit fois plus, pour être
précis ! ».
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