Précis Domat - Histoire du droit des affaires - 4e - 119

LE DROIT COMMERCIALAU MOYENÂGE ET À LA RENAISSANCE
(et par conséquent sa dette vis-à-vis du tireur) et s'engage à l'honorer. En cas de
refus d'acceptation, le bénéficiaire marque dans son carnet de créances la mention
« S.P. » (« sous protêt ») et fait dresser protêt (c'est-à-dire « protestation ») par
notaire. C'est à partir de ce moment que peut commencer une procédure du bénéficiaire
et du donneur, d'une part, contre le tireur, d'autre part, et non contre le tiré.
En effet, le tiré, tant qu'il n'a pas accepté la lettre de change, tant qu'il n'a pas
apposé de signature, n'est en rapport qu'avec son créancier qui est, dans ce cas
précis, le preneur-tireur. Si le tiré est d'accord pour payer et accepte, tout est parfait
: le bénéficiaire sera payé au bout d'un mois. Mais si le tiré n'accepte pas, le
bénéficiaire et celui qui est en compte avec lui, son débiteur, le donneur, ne peuvent
pas connaître, n'ont pas à connaître le tiré ; ils n'ont pas à entrer dans les liens entre
le tiré et le tireur. Ils se retournent directement contre le tireur, en se fondant sur le
prêt que le tireur a reçu du donneur, prouvé par l'expression « pour valeur reçue »
où il reconnaît ce prêt. C'est donc à partir de cette formalité d'acceptation que peut
commencer la procédure de protêt.
D. INSTRUMENT DE CRÉDIT AVEC INTÉRÊTS
178 Comment prendre des intérêts. - La lettre de change, telle que nous la voyons
au Moyen Âge, est une reconnaissance de dette ; elle est un titre de paiement ; elle
est même un titre de crédit puisqu'elle permet un certain nombre de délais ; et elle
va être, en fait, un moyen d'obtenir des intérêts. Comment cela ?
D'abord, on ne prend pas un intérêt mentionné tel quel. Nous ne sommes pas
encore à l'époque de l'escompte. Pour le moment, cette notion n'existe pas ; il
n'existe que la notion de change. En fait, l'intérêt réside en deux choses : ce peut
être unjeu sur le change entre deux places (dans l'exemple choisi jeu sur le change
entre la monnaie de Flandres et la monnaie de Barcelone) ; les changes sont soumis
à certains aléas économiques, mais l'on peut gagner, sur quelques mois, quelque
chose au change de deux monnaies. Ce gain représente un intérêt, et il est permis
par l'Église. Mais il existe un autre moyen qui consiste, pour le donneur, dans ses
estimations de change (par exemple, l'équivalence des monnaies en livres de Barcelone
et en écus de Bruges), à faire son compte d'estimation de façon à insérer un
certain bénéfice pour lui-même. Mais on ne parle pas d'intérêt tel quel, l'intérêt est
inclus dans le calcul de l'opération. Il est permis canoniquement parce que le donneur
rend un service, le transfert et le change de monnaie. Jusqu'ici la lettre de
change retranscrit une réalité, elle représente un véritable change, un véritable
voyage de l'argent ; il y a un prêt à court terme dans des conditions qui permettent
de prendre un intérêt ; l'Église ne s'y oppose pas.
179 Aussi la lettre de change va-t-elle être détournée de sa fonction réelle par les
banquiers qui comprennent, très tôt, les services qu'elle peut leur rendre pour pallier
la prohibition du prêt à intérêt. Alors qu'un banquier n'a pas le droit de prendre
un intérêt en prêtant de l'argent dans sa propre ville à un concitoyen, parce que
ce serait dans la même monnaie et sur la même place, il peut, au contraire, monter
un circuit de lettre de change et lui dire : «je vais vous prêter de l'argent à Florence,
en monnaie florentine, mais vous me le rendrez en argent de Sienne, chez mon
Première partie : Genèse du droit des affaires
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