Précis Domat - Droit des sûretés - 2e - 393

LE DROIT DE RÉTENTION
l'admettre que si ce droit s'appuie sur une connexité matérielle61
, la dette est alors
inhérente à la chose. Si certaines créances sont liées à la chose, au point de se transmettre
avec elle, pourquoi certaines dettes n'obligeraient-elles pas le propriétaire en
cette seule qualité ? Le debitum cum re junctum naîtrait ainsi « pour le compte de
qui il appartiendra ». Sur ce point, la connexité matérielle confère au droit de rétention
une efficacité accrue62
.
Lorsqu'il repose en revanche sur la connexité juridique ou conventionnelle, il
ne peut en aller de même : le lien entre créance et détention procède alors soit de
leur appartenance au même rapport synallagmatique, soit de la volonté de créer ex
nihilo un droit de rétention. La règle de la relativité des conventions (C. civ.,
art. 1199) exclut qu'elles puissent obliger quelqu'un qui n'y aurait pas été partie63
.
On pourrait citer en ce sens plusieurs arrêts, émanant du Conseil d'État64
la Cour de cassation65
comme de
. Depuis peu, celle-ci paraît faire machine arrière, à tout le
moins s'agissant de la connexité juridique, à laquelle elle semble attacher un rayonnement
maximal, y compris à l'égard du propriétaire étranger à la dette : « le droit
de rétention conventionnel que le fréteur tient du contrat d'affrètement ne peut être
exercé que sur les biens de son cocontractant, sans préjudice d'un droit de rétention
dont il pourrait se prévaloir contre un tiers, propriétaire de la marchandise se
trouvant à bord de son navire, en raison d'une connexité matérielle ou juridique
entre la créance invoquée et la marchandise retenue »66
. Cette solution est théoriquement
difficile à justifier car elle fait supporter l'inexécution d'un contrat à une
personne qui n'y est pas partie.
l'arrêt parle de connexité matérielle, la qualification de connexité juridique, s'agissant du salaire du séquestre,
n'est-elle pas plus appropriée ?
■ 61. N. CATALA-FRANJOU, art. préc., nº 23 ; MARTY,RAYNAUD et JESTAZ,nº 54 ; SIMLER et DELEBECQUE,
nº 498. Contra :DAGOT, Les sûretés, PUF, 1981, p. 92.
■ 62. V. pour une illustration, Cass. com., 3 mai 2006, nº 04-15262, décidant que le garagiste ayant, à la
demande du locataire d'un véhicule, réparé celui-ci sans être payé de ses prestations peut opposer son droit
de rétention au propriétaire du véhicule. L'arrêt s'appuie toutefois sur la motivation, critiquable à nos yeux,
selon laquelle « le droit de rétention est un droit réel, opposable à tous, y compris aux tiers non tenus de la
dette et peut être exercé pour toute créance qui a pris naissance à l'occasion de la chose retenue ».
■ 63. On pourrait toutefois raisonner différemment pour la connexité conventionnelle. Si l'on veut bien
voir dans cette figure un « diminutif du gage » (v. A. AYNÈS, thèse préc.), ne faut-il pas traiter le droit de
rétention sur le bien d'autrui comme celle d'un gage constitué a non domino, dont on sait qu'il peut être
efficacement opposé au verus dominus par le gagiste si celui-ci remplit les conditions de l'article 2276 du
Code civil (v. supra nº 225) ?
■ 64. CE, 2 juill. 2003, nº 254536, au sujet du droit de rétention exercé sur un aéronef par l'exploitant
d'un aérodrome en garantie de redevances aéroportuaires impayées. Le Conseil d'État refuse à l'administration
le droit de retenir l'aéronef dont le propriétaire n'est pas l'exploitant et qui n'est pas redevable des
redevances en cause.
■ 65. Cass. 1re
civ., 5 oct. 1966, Bull. civ. I, nº 454. - Cass. com., 18 mars 2003, nº 01-11204, refusant à
l'armateur un droit de rétention sur les marchandises appartenant au sous-affréteur en garantie d'une
créance dont il était titulaire contre son seul cocontractant, affréteur.
■ 66. Cass. com., 14juin 2023, nº 20-19948, pub. Bull.; D. 2023, 1173 ; JCP 2023, actu. 926, obs.
C. GOLHEN ; RTD civ. 2023, p. 691, obs. C. GIJSBERS ; v. déjà, deux ans plus tôt, Cass. com., 17 févr. 2021,
nº 19-11132 (à propos d'un matériel de chantier que le maître de l'ouvrage refusait de restituer à l'entreprise
qui en était locataire en raison du non-paiement d'une indemnité contractuelle) : « La cour d'appel,
qui a fait (...) ressortir que la créance impayée dont se prévalait la société Centrale solaire résultait du
contrat qui l'obligeait à restituer la foreuse à son cocontractant, en a exactement déduit qu'elle était fondée
à opposer son droit de rétention à la société Natixis Lease, propriétaire de cette chose. ».
Deuxième partie : Les sûretés réelles
393
Précis Domat - Droit des sûretés - 2e

Table des matières de la publication Précis Domat - Droit des sûretés - 2e
