Précis Domat - Droit des sûretés - 2e - 415

LES SÛRETÉS-PROPRIÉTÉ
Elle l'est d'abord quant à son utilité : pourquoi remettre une somme d'argent en
garantie d'une obligation que le débiteur a les moyens de payer immédiatement ?
Ne vaut-il pas mieux employer les fonds à l'extinction de la dette plutôt qu'àsa
garantie ? Ce premier trouble se dissipe si l'on veut bien considérer : d'une part,
que l'obligation garantie peut fort bien ne pas être monétaire ; d'autre part, que,
monétaire ou non, l'obligation garantie peut n'être qu'éventuelle. Or il n'est pas
absurde que le créancier exige la remise d'une somme d'argent en garantie de ce
qui doit être fait ou de ce qui pourrait lui être dû.
Elle l'est ensuite (ou plutôt l'était...) quant à sa nature juridique, la doctrine ne
sachant trop comment la qualifier. Fallait-il y voir un gage produisant un effet
translatif à raison de la fongibilité de son objet ? Ou bien une fiducie-sûreté innommée,
d'une validité incertaine faute de soubassement textuel ? La difficulté rejaillissait
sur les règles applicables : fallait-il respecter le formalisme du gage et se plier
à ses modalités de réalisation ? Ou pouvait-on espérer une plus grande latitude dans
l'organisation de son régime juridique ? L'ordonnance du 15 septembre 2021 a
l'immense mérite de mettre un terme à ces discussions en raccrochant clairement
l'aliénation de somme d'argent à titre de garantie à la famille des sûretés
fiduciaires82
, et en lui assignant un régime précis (C. civ., art. 2374 et s.).
Fallait-il légiférer sur cette sûreté ? La question fut âprement débattue lors de l'élaboration de
l'ordonnance. Après tout, malgré le flottement entourant sa qualification et son régime, le « gageespèces
» recevait un accueil favorable de la part de la jurisprudence, qui en admettait la validité
et, semble-t-il, les pleins effets en cas de procédure collective. Aux yeux de nombreux opérateurs,
le statu quo paraissait donc préférable à une consécration législative, qui aurait pu conduire à
reconsidérer la souplesse et la vigueur du mécanisme, spécialement dans le droit de la faillite83
.
Le désir de clarifier une figure incertaine l'a toutefois emporté sur de telles considérations, sans
que l'efficacité de cette sûreté n'en pâtisse.
588 Domaine. - D'après le nouvel article 2374, « la propriété d'une somme d'argent,
soit en euro soit en une autre monnaie, peut être cédée à titre de garantie
d'une ou plusieurs créances, présentes ou futures ». Rompant avec son image de
sûreté dédiée aux milieux bancaires et financiers, le texte fait de la cession de
somme d'argent un instrument parfaitement polyvalent, s'offrant à toutes sortes
de parties, en garantie de tout type de créances. La même ouverture est de mise
s'agissant des sommes cédées. Il peut s'agir de monnaie fiduciaire ou de monnaie
scripturale, « soit en euro soit en une autre monnaie »84
. Cela devrait, semble-t-il,
exclure les cryptomonnaies (ex. : bitcoin), qui n'ont « pas le statut juridique d'une
monnaie » (C. mon. fin., art. L. 54-10-1,2º).
■ 82. Cela ne condamne naturellement pas la constitution d'un véritable gage de sommes d'argent avec
dépossession, dont les parties devront alors respecter le régime.
■ 83. V. en ce sens, Europlace, Quelques propositions de modernisation et simplification du droit des
sûretés français, 2015, p. 4, pointant le risque de « fragiliser des sûretés particulièrement utiles et efficaces
en droit français ».
■ 84. La réforme des sûretés se veut ici plus ouverte que celle des contrats, qui avait posé en principe que
« le paiement, en France, d'une obligation de somme d'argent s'effectue en euros » (C. civ., art. 1343-3).
Deuxième partie : Les sûretés réelles
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