Les Mélanges - Mélanges en l’honneur de Marie-Laure Moquet-Anger - 379

L'ESPRIT CARABIN, ENTRE ESPRIT DE CORPS ET ESPRIT DU TEMPS
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question a pu être discutée, et l'on se souvient de l'affaire désolante du « mur des cons », il
est apparu que la liberté d'expression pouvait être d'autant plus aisément rabotée qu'elle
débordait sur l'espace public. Tel fut le raisonnement de la Cour de cassation à propos du
local du Syndicat national de la magistrature, « lieu privé par sa nature et sa destination »
mais susceptible de perdre accidentellement « ce caractère pour devenir occasionnellement
un lieu public par suite de circonstances déterminées et particulières », dès lors notamment
« que des personnes extérieures au syndicat ont été autorisées à y pénétrer ». Suivant
cette même lecture, le juge toulousain s'est attaché à démontrer la « publicisation » des
lieux et le débord du cadre privé sur la sphère publique, en resituant d'abord le réfectoire
au sein du CHU, au soutien du service public et à destination d'agents publics31, puis en
rappelant que les lieux étaient ouverts « aux internes, usagers du réfectoire et agents
publics », sans omettre leurs éventuels invités.
Ce seul motif de l'atteinte à la dignité suffisant à donner raison au syndicat requérant,
le juge n'a pas eu à prendre position les autres motifs, en particulier l'accusation de harcèlement
sexuel au travail32. La DGOS en revanche, afin de clore toute polémique peu
flatteuse pour le service public hospitalier, a retenu l'argument dans une instruction qui
tente un « en même temps » propre à ménager la communauté médicale.
2. La DGOS dans l'entre-deux
Intransigeance. Tirant les leçons de la décision du tribunal administratif de Toulouse, la
DGOS, par instruction du 17 janvier 202333, a demandé à tous les hôpitaux dont les
salles de garde accueillaient encore des « fresques qui constituent un agissement à connotation
sexuelle » de les retirer sauf à manquer à leurs obligations d'employeurs de veiller à
la sécurité et à la santé de ses agents34. Lors de la mise en cause de la fresque de Purpan, le
syndicat Sud en avait dénoncé le « registre d'hypersexualisation et de réification des femmes
- voire des hommes » participant d'un harcèlement sexuel « d'ambiance », « climat
hostile et offensant pour les professionnelles ». L'accusation dépassant largement le cadre
toulousain, le ministère relève que la survivance de ces fresques carabines est de nature « à
porter atteinte à la dignité des personnes ou de créer un environnement intimidant, hostile,
dégradant, humiliant ou offensant » et demande aux « directions des établissements
d'organiser le retrait de l'ensemble des fresques à caractère pornographique et sexiste », et
ceci selon « un calendrier qui ménage la concertation avec les parties prenantes locales ».
Conciliation. Pas question pour autant d'alimenter la grogne des médecins ni de braquer
des collectifs d'internes déjà ulcérés par les réformes successives. Aussi, entre tribut
payé à la cancel culture et assurance donnée aux siens, l'instruction choisit un autoritarisme
soft, la disparition des fresques carabines des salles de garde mais avec l'aval de la communauté
médicale dans ses différentes expressions : « ce retrait doit se faire dans le cadre d'un
plan d'action concerté avec les différentes parties prenantes au niveau local » - directions
d'établissements, associations étudiantes, représentants de la communauté médicale de
l'établissement ainsi que directeurs d'unités de formation et de recherche dans les CHU
- avec pour perspective « d'éviter les contentieux et de rechercher le consensus ». Suppression
pure et simple, comme ce fut le cas au CHU de Clermont, ou « le cas échéant la
31. V. les critiques sévères de Martin Winckler, médecin et célèbre romancier, sur son blog participatif
«L'École des soignants », en ligne.
32. CE, 19 juin 2014, nº 381061, Commune du Castellet : AJDA 2014.2079, note O. LEBOT.
33. Instruction du 17 janv. 2023 relative aux fresques dites « carabines » dans les salles de garde des étudiants
en santé dans les établissements publics de santé.
34. C. trav., art. L. 4121-1.

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