Droit & Pratique professionnelle - Les sociétés civiles immobilières - 3e - 75

DE L'IDÉE D'UNE SOCIÉTÉ À LA SIGNATURE DES STATUTS
§ 2 * Rupture abusive des pourparlers
220. Principe de liberté. - Face aux difficultés que
génère cette période de discussions, la jurisprudence a
dégagé un corpus de règles claires qui s'applique évidemment
aux sociétés civiles. Les solutions s'articulent
autour d'un principe et d'une exception. Le principe
est simple : la rupture des pourparlers est libre. Selon
l'article 1112 alinéa 1, l'« initiative, le déroulement et
la rupture des négociations précontractuelles sont
libres ». Ainsi est-il possible de mener des négociations
parallèles. L'objectif est de faire jouer la concurrence.
Dès lors, en droit des sociétés, les potentiels
partenaires à la prochaine création d'une structure en
commun ont a priori toute latitude pour mettre un terme
aux négociations en cours, de manière unilatérale. Le
principe s'applique également s'ils sont eux-mêmes à
l'origine du rapprochement. La jurisprudence est en
ce sens13
.
221. Limites au principe. - La liberté de rompre les
pourparlers n'est pas discrétionnaire. Ainsi, si la rupture
des pourparlers intervient dans des circonstances
abusives, la responsabilité de la partie qui en est à l'origine
sera engagée. Cette responsabilité précontractuelle
a été consacrée dans un important arrêt de la
chambre commerciale du 20 mars 197214
. Les négociations
doivent donc se dérouler loyalement. C'est ce
qu'exprime l'article 1112 alinéa lorsqu'il indique qu'elles
« doivent impérativement satisfaire aux exigences de la
bonne foi ». En d'autres termes, la rupture des pourparlers
n'est pas en elle-même une faute ; elle peut le devenir,
en raison des circonstances dans lesquelles elle
intervient. La responsabilité sera délictuelle, fondée sur
l'article 1240 du Code civil. La question du dommage
réparable avait quant à elle nourri la réflexion doctrinale15
foulée
d'un arrêt Manoukian16
particulièrement célèbre,
l'article 1112 alinéa 2 du Code civil précise qu'« en
cas de faute commise dans les négociations, la réparation
du préjudice qui en résulte ne peut avoir pour
objet de compenser ni la perte des avantages attendus
du contrat non conclu, ni la perte de chance d'obtenir
ces avantages »17
. En matière de société, où l'objet du
contrat est par principe de réaliser des bénéfices, cette
jurisprudence revêt un relief particulier.
222. La notion de circonstances abusives : considérations
pratiques. - La notion de circonstances abusives
est difficile à synthétiser, aussi plusieurs directives
de principe peuvent être proposées.
223. Intention de nuire. - En premier lieu, si elle
démontre nécessairement une rupture abusive, l'intention
de nuire n'est pas une condition sine qua non pour
qualifier la situation d'abusive18
. La rupture peut être
abusive sans intention de nuire.
224. Différences entre les structures sociales. -
En deuxième lieu, l'on peut certainement faire une
distinction entre les différentes structures sociales, et
il est légitime de penser que la rupture des pourparlers
engagés en vue de la création d'une société avec un
fort intuitu personae, comme les sociétés civiles, doit
être envisagée différemment de celle intervenant dans
une future société où la personne de l'associé est moins
importante19
.
16. Cass. com., 26 nov. 2003, n° 00-10243 et 00-10949, Bull. civ. IV,
n° 186 ; D. 2004, p. 869 ; note A.-S. Dupré-DaLLeMagne ; JCP G 2004,
I, 163, n° 26 ; obs. G. Viney ; JCP E 2004, p. 738, obs. Ph. StoFFeLMunck
; RDC 2004, p. 257, obs. D. MazeauD ; RTD civ. 2004, p. 80, obs.
J. MeStre et B. FageS ; v. dans le même sens, Cass. 3e
civ., 28 juin 2006,
car celui-ci peut être de divers ordres. Dans la
13. V. par ex., à propos de création de sociétés, CA Metz, 28 juin 2011,
JurisData n° 2011-019519 ; CA Amiens, 27 avr. 2010, JurisData n° 2010011013,
avec un attendu identique : « La liberté est de principe dans le
domaine des relations précontractuelles, y compris la liberté de rompre
à tout moment les pourparlers ».
14. Cass. com., 20 mars 1972, n° 70-14154, Bull. civ. IV, n° 93 ; RTD civ.
1972, p. 779, obs. G. Durry ; JCP G 1973, II, 17543, note J. SchMiDt ;
v. égal. du même auteur, « La sanction de la faute précontractuelle »,
RTD civ. 1974, p. 46.
15. O. DeShayeS, « Le dommage précontractuel », RTD com. 2004, p. 187.
n° 04-20040, Bull. civ. n° 164 ; D. 2006, p. 2963, note D. MazeauD ;
D. 2006, p. 2638, obs. S. AMrani-Mekki et B. Fauvarque-CauSSon ; RTD civ.
2006, p. 754, obs. J. MeStre et B. FageS ; et p. 770, obs. P. JourDain ;
JCP G 2006, II, 10130, note O. DeShayeS ; JCP G 2006, I, 166, n° 6,
obs. Ph. StoFFeL-Munck.
17. Sur la modification récemment intervenue, v. Th. De raveL D'eScLapon,
« Loi de ratification du 20 avril 2018 : les modifications intéressant la formation
du contrat » : RLDA, sept. 2018, n° 140, 6518, p. 28, spéc., p. 29.
18. Rép. Dalloz Sociétés, vo
art. préc., n° 20 ; B. SaintourenS, note sous
Cass. com., 11 juill. 2000, n° 97-18275 ; BJS 2000, section 288,
p. 1167 ; v. égal. en jurisprudence : Cass. 3e
civ., 3 oct. 1972, Bull. civ. III,
n° 491 : la solution est très claire dans cette décision.
19. Sur les rapports entre négociation et intuitu personae, v. J.-J. FraiMout,
« Le droit de rompre des pourparlers avancés », Gaz. Pal., 1er
n° 152, p. 2.
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juin 2000,
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