Droit & Pratique professionnelle - Droit et pratique de la lutte contre la criminalité organisée - 1re - 307

LES MOYENS MAL APPRÉHENDÉS DE LUTTE CONTRE LA CRIMINALITÉ ORGANISÉE
2. Une jurisprudence civile clivante
986. Éléments de l'espèce jugée. - Ce doute a
été levé en jurisprudence dans une affaire où la CNPR
avait mis fin, avant jugement, aux mesures de protection
et de réinsertion précédemment accordées à
un collaborateur de justice et à sa famille. En réalité,
au-delà de la neutralité de ce motif, ce n'est pas en raison
de ce que ces mesures n'étaient plus nécessaires
à la protection et à la réinsertion du repenti et de sa
famille mais du fait de « manquements graves et réitérés
de nature à compromettre le bon déroulement des
mesures de protection dont ils bénéficiaient » (motivation
de l'arrêt de la Cour de cassation, infra, n° 987).
La décision de retrait prise par la CNPR avait donc bien
un caractère disciplinaire. Elle s'appuyait sur ce qui
pouvait correspondre, en matière d'identité d'emprunt,
au « comportement incompatible avec le bon déroulement
de cette mesure », selon la formule du décret du
17 mars 2014 dont l'insaisissable contenu sémantique
trouvait en l'espèce une expression concrète. Mais
en préférant placer sa requête aux fins de voir retirer
l'autorisation d'user d'une identité d'emprunt, sur un
fondement qui lui paraissait lier le juge, le président
de la CNPR pensait sans doute assurer la décision de
retrait recherchée.
987. Position des juridictions civiles. - Le président
du tribunal judiciaire de Paris a cependant rejeté
cette requête par une ordonnance confirmée en appel.
Le pourvoi inscrit déniait au juge la possibilité, en l'état
de la suppression de toutes les autres mesures par la
CNPR, d'apprécier la nécessité persistante de l'autorisation
d'user d'une identité d'emprunt. Pour rejeter ce
pourvoi, la première chambre civile de la Cour de cassation
dans un arrêt du 2 mars 2022 (n° 306 - pourvoi
n° 21-25385), refusant de distinguer parmi les différents
motifs de retrait mentionnés par le décret du 17 mars
2014, s'est ainsi prononcée :
« Il appartient au président du tribunal d'apprécier
le bien-fondé de la requête, au regard des éléments
de fait et de preuve qui lui sont soumis et notamment
des conséquences du retrait de l'autorisation
sur la sécurité des intéressés, que cette requête soit
motivée par la fin des mesures de protection et de
réinsertion précédemment accordées par la CNPR ou
par le comportement de la personne ».
988. Conséquences de cette jurisprudence. - Bien
que privé de toute protection autre que l'autorisation
maintenue d'user d'une identité d'emprunt, le collaborateur
de justice concerné, qui conserve cette qualité,
devrait donc pouvoir bénéficier d'une des formes de
comparution sécurisée telles que prévues par l'article
706-63-2 du Code de procédure pénale. Si les
conditions de celle-ci devaient être contestées jusque
devant la chambre criminelle de la Cour de cassation
dont la position n'a pas été connue dans l'affaire jugée
par la première chambre civile faute de renvoi devant
la chambre mixte, il sera intéressant de connaître cette
position. Pour l'heure, la protection ainsi démembrée du
repenti ne peut que laisser l'observateur et le praticien
aussi perplexes qu'insatisfaits. On a pu dire également
qu'ainsi désavouée et après d'autres déconvenues, la
CNPR était désormais « en état de mort clinique »51
.
Une réécriture très prochaine des textes serait bienvenue
pour l'avenir même du dispositif.
§ 5 * La déposition à l'audience du témoin
protégé
A. Les enjeux de la déposition à l'audience
des témoins
989. Crainte d'une déposition publique. - Les
témoins autorisés à bénéficier des mécanismes légaux
du témoin confidentiel, du témoin sous X et du témoin
protégé52
, sont le plus souvent amenés à déposer oralement,
notamment devant la cour d'assises, au regard de
l'importance de leurs témoignages. Au même titre que
le collaborateur, cette comparution en audience peut
être périlleuse et source d'inquiétude, surtout pour celui
qui n'a commis aucune infraction. Les conditions de
cette déposition doivent ainsi faire l'objet d'une attention
51. J. Follorou, « La commission de protection des " repentis " fragilisée après
une série de revers », Le Monde, 10 oct. 2022.
52. Pour une présentation du statut et des règles du témoin confidentiel,
du témoin sous X et du témoin protégé, nous renvoyons à l'article de
B. hurel, « La protection des témoins et collaborateurs de justice »,
supra, n° 849.
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