Droit & Pratique professionnelle - Droit et pratique de la lutte contre la criminalité organisée - 1re - 69

LA MENACE DE LA CRIMINALITÉ ORGANISÉE EN FRANCE
n'être qu'un maillon d'un trafic effectué à plus grande
échelle par des groupes criminels plus importants.
212. L'influence et la puissance de groupes criminels
d'envergure issus des quartiers dits sensibles.
- Des réseaux de plus grande ampleur se sont
structurés sur le territoire national en vue d'étendre
le trafic à une zone géographique plus vaste et plus
dense en termes de clientèle. Ils présentent un niveau
de professionnalisation élevé et une organisation sophistiquée
leur permettant d'être présents à tous les niveaux
du trafic de stupéfiants, souvent multi-produits. Cette
activité est traditionnellement prisée de groupes issus
de quartiers sensibles français, où s'opère la majorité
des trafics. Ces groupes sont généralement structurés
autour de membres partageant des liens communs (géographiques,
communautaires ou familiaux). Les cibles
d'intérêt prioritaire se trouvant à la tête des grandes
organisations criminelles françaises impliquées dans le
trafic de stupéfiants sont ainsi majoritairement issues de
cette criminalité des quartiers sensibles.
213. Des réseaux cloisonnés et hiérarchisés. - Les
groupes d'envergure sont strictement hiérarchisés selon
une logique pyramidale : les « petites mains » du trafic
(guetteurs et vendeurs) sont sous l'autorité d'un chef de
point de vente, lui-même dirigé par le responsable du
réseau au niveau local. Ce dernier est considéré comme
le lieutenant exécutant les ordres de la tête de réseau,
qui ne réside pas nécessairement sur le territoire national.
Cette hiérarchisation traduit une division du travail
marquée au sein des groupes criminels organisés, qui
s'inscrit dans une logique de compartimentation des
activités. Le cloisonnement entre les différentes strates
permet en effet de protéger la sphère organisatrice du
réseau de l'action des services répressifs.
Aujourd'hui, cette dynamique de cloisonnement est
poussée à un point tel qu'elle aboutit à une forme de
déterritorialisation. En effet, sur les points de deal,
l'embauche d'intérimaires qui ne sont pas originaires
du quartier est de plus en plus fréquente. Cette évolution
récente témoigne du choix des têtes de réseau de
ne plus s'appuyer exclusivement sur les connaissances
de proximité pour assurer les activités de revente, avec
notamment pour objectif de complexifier l'identification
du réseau par les services répressifs.
3. Le pouvoir d'attraction des groupes criminels
impliqués dans le trafic de stupéfiants en France
214. Des réseaux hiérarchisés qui offrent des
perspectives d'ascension dans le champ criminel.
- Du fait de l'ancrage territorial et de la forte hiérarchisation
des réseaux, un phénomène d'ascenseur
social est observé au sein des groupes criminels français,
pouvant conduire un dealer de quartier à progressivement
monter dans la hiérarchie du réseau pour devenir
un trafiquant d'envergure dans le cadre d'un parcours
de « délinquance professionnelle ». C'est notamment le
cas de Moufide Bouchibi, originaire de l'Essonne, qui a
débuté sa « carrière » de dealer à 17 ans. À partir du
début des années 2000, il s'occupe de l'organisation de
nombreux go-fast entre le sud de l'Espagne et la France.
En s'associant à d'autres trafiquants, tels que Sofiane
Hambli, et en s'appuyant sur eux, il développe progressivement
un réseau tentaculaire. Lorsqu'il est interpellé
en 2021, sa fortune est estimée à plusieurs dizaines de
millions d'euros. Les trafiquants de haut niveau constituent
donc des exemples de réussite dans les quartiers
sensibles où l'idéal méritocratique républicain peine à
s'ancrer dans les mentalités.
215. Le trafic de stupéfiants, un contre-modèle
social et culturel. - L'engagement dans le trafic de
stupéfiants apparaît comme un mode de vie alternatif
attrayant pour la jeunesse de certains quartiers populaires,
notamment du fait de son caractère lucratif.
À titre d'exemple, un vendeur sur un point de deal est
rémunéré entre 50 et 250 euros à la journée. Le trafic
peut donc répondre au désir de gagner beaucoup
d'argent rapidement sans effectuer un cursus scolaire
classique. Le caractère rémunérateur du trafic de stupéfiants
est par ailleurs largement diffusé via certains
vecteurs culturels, en particulier le rap. De plus, les
trafiquants sont perçus comme des notables locaux au
sein des cités grâce à cette forme d'ascension sociale
qui leur permet d'apparaître comme des chefs d'entreprise
recrutant de la main-d'œuvre au sein du quartier.
Cette image positive permet le renouvellement continu
des « petites mains » sur le terrain et garantit ainsi le
dynamisme du crime organisé lié au trafic de stupéfiants
en France.
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