Droit & Pratique professionnelle - Droit et pratique de la lutte contre la criminalité organisée - 1re - 91

LA MENACE DE LA CRIMINALITÉ ORGANISÉE EN FRANCE
des communications électroniques. Cela nécessite
donc le développement de nouveaux modes d'action
pour rechercher, identifier et poursuivre les auteurs
d'infractions.
292. Lutte contre le cybercrime organisé et le
chiffrement. - Initialement développé afin de protéger
la vie privée de surveillance et de collecte massive de
données17
, le chiffrement correspond à deux réalités
concrètes quotidiennement éprouvées par les magistrats
et les enquêteurs : l'impossibilité d'intercepter en
temps réel les communications électroniques échangées
par le biais de certains services (WhatsApp, Telegram,
Signal, Silence, etc.) ou certains téléphones modifiés
comme les CryptoPhones (Encrochat, SkyECC, etc.) et
l'impossibilité d'obtenir un accès aux données contenues
dans ces appareils lorsqu'ils sont saisis18
dans
le cadre d'enquêtes (c'est le cas de la majorité des
smartphones)19
. Le chiffrement est devenu au fil du
temps une aubaine pour les organisations criminelles
car celui-ci rend extrêmement complexe ou pratiquement
impossible l'accès aux preuves et leur analyse.
Les véritables organisations criminelles organisées se
sont maintenant parfaitement professionnalisées pour
déjouer les techniques d'enquête classiques : filatures
mises en échec, usage de fausses identités, utilisations
de tiers pour stocker le produit d'infractions ou faciliter
le blanchiment des capitaux, etc. La principale zone de
fragilité de ces organisations réside dans l'impérieuse
nécessité qu'éprouvent leurs membres de communiquer
à distance, d'où l'importance de pouvoir recueillir des
éléments de preuve numérique20
. En effet, les autorités
répressives et le système judiciaire sont de plus en plus
tributaires de l'accès aux preuves électroniques pour
lutter efficacement contre le terrorisme, la criminalité
organisée, la pédocriminalité, plus largement pour toute
une série de formes de cybercriminalité et de criminalité
facilitée par les technologies de l'information et de la
17. L. BliSSon, « Petits vices et grandes vertus du chiffrement », Délibérée,
vol. 7, n° 2, 2019, pp. 56-59.
18. M. audiBert, « L'extraction et l'exploitation des données contenues dans
des supports numériques », AJ pénal, 2023, p. 116.
19. M. audiBert, « Refuser de communiquer le code de déverrouillage de son
téléphone peut être une infraction », AJ pénal, 2022, p. 577.
20. C. korell, « Téléphonie : le risque des enquêtes " à moitié " après les
arrêts du 12 juillet », AJ pénal, 2022, p. 396.
communication. Un tel accès à ces données est donc
essentiel au succès de la répression et de la justice
pénale dans le cyberespace21
. Les services d'enquêtes
doivent donc développer des capacités d'enquête innovantes.
Celles-ci reposent à la fois sur des stratégies
d'investigation humaines et sur des stratégies d'investigation
techniques.
293. Stratégies d'investigation humaines pour
contourner le chiffrement mis en œuvre par les
groupes criminels organisés. - Dans le cadre de
leur mission de lutte contre la criminalité organisée
dans le cyberespace, les forces de sécurité intérieure
emploient quotidiennement l'enquête sous pseudonyme.
Strictement encadrée par la loi22
, elle permet à des
enquêteurs formés, spécialement habilités et affectés
dans certaines unités de police judiciaire de procéder
à un certain nombre d'actes d'enquêtes sans en être
pénalement responsables. Ils peuvent ainsi participer à
des échanges électroniques avec des suspects, extraire
ou conserver tout élément de preuve ou encore procéder
à des achats de confiance ou à des coups d'achat.
Dans ces dernières hypothèses, outre la matérialisation
concrète de l'infraction, les enquêteurs peuvent identifier
formellement les suspects soit au travers de traces
informatiques, soit au travers d'une rencontre physique.
En pratique, ces enquêteurs spécialisés arpentent donc
quotidiennement les canaux de conversations chiffrées,
les différentes plateformes du darkweb23
en vue d'identifier
les individus se livrant à différents actes répréhensibles24
.
Dans le même temps, plusieurs réflexions sont
en cours pour élaborer de véritables cyber-infiltrations au
sens de l'article 706-81 du Code de procédure pénale,
cette procédure ne devant plus être uniquement réservée
à la criminalité organisée traditionnelle. Enfin, dans
l'hypothèse où un suspect a été interpellé et placé
en garde à vue, les enquêteurs ont la possibilité de le
contraindre, sous certaines conditions, à communiquer
21. Résolution du Conseil de l'Union européenne sur le chiffrement, « La
sécurité grâce au chiffrement et malgré le chiffrement », 13084/20,
24 nov. 2020.
22. CPP, art. 230-46.
23. E. caPrioli, « Droit pénal et Darkweb - une première condamnation aux
USA pour la commission d'infractions sur le Darkweb », Comm. Com.
électr., n° 7-8, juill. 2017, comm. 68.
24. M. QuéMéner, « Enquêtes dans le Darkweb », Dalloz IP/IT, 2017, p. 83.
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