Droit et Société - Volume 63 - Droit, justice et changement social - 111

ÉLEMENTS D'UNE THÉORIE DU CHANGEMENT JURIDIQUE ET JUDICIAIRE
antérieures. Ainsi, au Québec, la prise en charge publique de l'éducation concorde
avec l'essoufflement de la référence religieuse 12 et la difficulté conséquente
de l'Église de maintenir son emprise sur l'instruction publique. Il était
inévitable que ce changement de référence comporte des conséquences sur les
valeurs, les normes et les pratiques de l'institution scolaire. Ce renversement des
représentations sociales allait avoir des effets équivalents sur l'enseignement supérieur
et, au-delà du milieu académique, sur le système de santé, les programmes
et dispositifs de sécurité sociale, les fondements de l'autorité instituée
et les pratiques de tous ces champs d'action à la fois. Bref, les retournements de
paradigmes conduisent inévitablement à une mutation importante (et parfois rapide)
de tous les niveaux d'action qui y sont rattachés. Au Québec, on a ainsi pu
parler de Révolution tranquille. On assiste du moins à l'époque au changement
des critères qui fondaient jusque-là la « normalité ». Ces mutations concordent
cependant souvent avec un remplacement des cadres sociaux établis ; dans
l'exemple précité, celui de l'Église par l'État et du clergé par la fonction publique
13.
Ces retournements peuvent être de portée différente et toucher certaines
sphères de l'activité sociale plutôt que d'autres. Ainsi, dans le domaine de la
recherche scientifique, Thomas Kuhn explique comment les changements de paradigmes
surviennent lorsque la multiplication des incompatibilités entre les hypothèses
et les faits conduit à fragiliser la confiance qu'on plaçait jusque-là dans
la capacité explicative des théories antérieures. Cette crise joue un rôle important
dans l'apparition de toute nouvelle théorie. Comme l'indique Kuhn :
« Aussi longtemps que les outils fournis par un paradigme se montrent capables
de résoudre les problèmes qu'il définit, la science se développe plus vite et pénètre
plus profondément les faits en employant ces outils avec confiance. La raison en
est claire. Il en est des sciences comme de l'industrie : le renouvellement des outils
est un luxe qui doit être réservé aux circonstances qui l'exigent. La crise signifie
que l'on se trouve dans l'obligation de renouveler les outils. » 14
Il est par ailleurs fréquent que ces « déplacements » viennent précipiter des
mutations plus profondes. En effet, il y a rarement de station intermédiaire entre
12. Louis CORNELISSEN, La religiosité au Canada et son évolution de 1985 à 2019, Statistique
Canada, no 75‑006‑X au catalogue, Ottawa, 28 octobre 2021. Pour une synthèse de l'étude, lire
Sandrine VIEIRA, « Les Québécois sont les moins pratiquants au Canada », dans Le Devoir, 2
novembre 2021, en ligne :
.
13.
Yvan LAMONDE, L'heure de vérité : la laïcité québécoise à l'épreuve de l'histoire, Del Busso,
Montréal, 2010.
14. Thomas S. KUHN, La structure des révolutions scientifiques, Flammarion/Champs, Paris, 1983,
p. 113.
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DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 63, 2024

https://www.ledevoir.com/societe/644538/religion-les-quebecois-sont-les-moins-pratiquants

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