Droit et Société - Volume 63 - Droit, justice et changement social - 132

DROIT, JUSTICE ET CHANGEMENT SOCIAL
sont fondés sur la nécessité. Ainsi, dans la plupart des organisations on ne parvient
à se convaincre de changer de système comptable ou de système d'information
que lorsque la corporation des services qui en assure l'entretien indique
qu'elle n'en garantit plus la mise à jour. Le changement survient alors sur la base
d'une contrainte à laquelle on ne peut échapper.
D'autres changements peuvent survenir si les avantages de la nouvelle procédure
ou de la nouvelle pratique sont tels qu'il devient totalement irrationnel de
s'en priver. Mais lors même que les acteurs ont un intérêt « commun » à modifier
leurs pratiques, cet intérêt doit répondre aux besoins de chaque acteur pour éviter
la neutralisation mutuelle de leurs intérêts. Dans un jeu à somme nulle, chacun a
en effet avantage à éviter de payer le prix d'un changement qui, partant, profite
aux autres « joueurs ». Une telle mutation suppose cependant que tous les acteurs
du champ y souscrivent. Le cap de l'innovation est dès lors plus difficile à passer
pour des raisons exposées plus haut : « Le novateur a pour ennemis tous ceux
que l'ordre ancien favorise ». N'importe quel acteur important du champ est ainsi
en mesure de stopper tous les autres. Cette situation a constamment ralenti le
rythme des changements au sein du système judiciaire. La subdivision des fonctions
(et l'équilibre des pouvoirs) entre la magistrature, les praticiens et les autres
acteurs organisés du monde judiciaire (ministère de la Justice, sécurité publique,
greffes, administration des palais de justice, etc.) est souvent venue à bout des
idées susceptibles de modifier le rapport de force ou tout simplement les habitudes
et les intérêts de l'un ou l'autre joueur du champ. Il s'ensuit qu'aucun
d'entre eux ne se reconnaît l'autorité d'imposer quoi que ce soit aux autres. Ainsi,
les milieux communautaires (ONG) et les initiatives en matière de justice alternative
ou de justice réparatrice (dans le domaine criminel et pénal) sont longtemps
restés en marge du système judiciaire, alors que l'apport de ces acteurs sociaux
a rapidement été reconnu au sein du système de santé et des services sociaux 55.
La justice reste du domaine largement clôturé.
Il faut reconnaître cependant que certains contextes sont plus favorables que
d'autres au développement, à la reconnaissance ou à l'intégration d'innovations
sociales ou technologiques. Au cours des trente dernières années, la création de
l'Aide juridique ou le développement d'une juridiction spécifique en matière de
petites créances, l'établissement du recours collectif ou la reconnaissance de la
55. En contrepartie, lorsqu'elles ont été intégrées c'est généralement par duplication, comme c'est
le cas de l'Aide juridique et des centres de justice de proximité. Par comparaison, on pourra
consulter le bottin établi par le ministère de la Santé et des Services sociaux, en ligne :
(dernière consultation : 14 juillet
2023).
À l'opposé de cette tendance, la déjudiciarisation des infractions criminelles et pénales s'est
récemment imposée comme une nécessité pratique en regard des délais de justice, notamment
à la Cour du Québec. L'établissement du Programme de mesures de rechange général permet
actuellement de recourir à la justice réparatrice dans les dossiers dont la gravité est moindre, de
manière à éviter le passage systématique de ces petits infracteurs devant le tribunal et la constitution
d'un dossier judiciaire. On constatera cependant qu'il aura fallu près de 50 ans pour que
les premiers travaux traitant de la justice réparatrice trouvent une matérialisation dans le processus
judiciaire.
DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 63, 2024
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http://www.msss.gouv.qc.ca/repertoires/dependances/

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