Droit et Société - Volume 63 - Droit, justice et changement social - 185

CONCLUSION
dance des comportements aux normes les plus formellement établies. En réintroduisant
le rôle régulateur des instances référentielles et pratiques de l'action sociale,
on a tout simplement élargi les sources de la normativité et, par extension,
les instances de la régulation sociale, sans nier la fonction régulatrice de la normativité
établie, légiférée ou réglementée. Ce faisant, on a cependant reconnu la
complexité des mécanismes sociaux de la régulation, y compris dans l'étude de
milieux dont la fonction est proprement juridique, comme c'est le cas des tribunaux
(chapitres 5 et 6), des institutions législatives (chapitre 2) ou des intermédiaires
du droit (chapitres 3 et 4).
S'intéressant aux différentes instances de la régulation sociale (et partant aux
mécanismes d'institutionnalisation), on a voulu reconnaître le caractère continu
de ces processus, plutôt que leur fixité (l'Institution). En contrepartie, la relation
souvent en porte-à-faux qui s'immisce entre les composantes référentielles, normatives
et pratiques de la régulation donne à la fois la clef des processus d'institutionnalisation
sociale (lorsqu'elle intègre l'ensemble de ces instances de régulation),
mais également celle de la désinstitutionalisation (lorsqu'elles entrent en
contradiction), puis de la réinstitutionnalisation lorsque sont remis à nouveau en
phase les paramètres pratiques, normatifs et référentiels de cette régulation.
C'est en contexte de désinstitutionalisation que les tensions qui opposent les
instances de régulation sont le plus clairement observables, soit à la faveur d'un
retournement des représentations sociales ou des normes partagées par les acteurs
du champ juridique, soit à la faveur d'une mutation des pratiques de justice ou des
pratiques sociales, ces mutations étant plus susceptibles de naître d'une crise institutionnelle,
que celle-ci soit provoquée par un mouvement interne au système juridique
ou par une crise dont l'origine est étrangère au champ juridique et judiciaire.
C'est particulièrement dans ce cadre qu'un certain nombre d'innovations
sociales ou technologiques sont susceptibles de venir modifier l'activité de tel ou
tel champ fortement institutionnalisé. Dans le domaine de la justice et du droit,
elles mettent en évidence l'influence de l'expérimentation sociale sur l'activité
juridique, comme c'est le cas par exemple en matière de numérisation des
activités de justice, de médiation familiale, de justice réparatrice ou de
conférences de règle amiable. Pour cette même raison, l'étude des changements
institutionnels, par nature macrosociologiques, ne peut faire l'économie de
travaux aux niveaux mésosociologique ou microsociologique, c'est-à-dire à un
niveau d'action où ces expériences sociales (et ces innovations technologiques)
sont appelées à se développer concrètement, jusqu'à s'imposer. Auquel cas, ils
sont observables empiriquement. Il faut cependant faire remarquer également
que l'innovation n'est pas, par définition, le produit d'une décision hiérarchique.
Elle peut également venir d'une mutation des aspects les plus concrets et les plus
pratiques de l'action. On doit ainsi remettre en question l'explication que les
études souvent inspirées par le néo-institutionnalisme donnent de la résistance
au changement. Dans une perspective strictement managériale, cette résistance
est toujours associée à l'incapacité des membres de l'organisation de transcender
leurs propres habitudes. Or, les études qui ont servi d'inspiration à cet ouvrage
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DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 63, 2024
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