Droit et Société - Volume 63 - Droit, justice et changement social - 25

LE DROIT COMME LABORATOIRE DU CHANGEMENT SOCIAL
d'hériter de son mari décédé avant tous les membres de la famille du défunt 20.
C'est également le cas lors de l'établissement du régime des allocations familiales,
distribuées aux mères de famille 21. Ou encore, au moment de l'adoption
d'une multitude d'autres législations sociales, qui sont lentement venues éroder
le pouvoir de l'Église au profit de celui de l'État 22. Plusieurs de ces lois statutaires
contrevenaient à la conception intégrée du droit que défendaient les juristes
civilistes 23. On se souviendra que la Loi sur l'assurance maladie (L.R.Q. A-29)
fut adoptée malgré l'opposition des médecins, et la Loi sur l'assurance automobile
(L.R.Q. A-25), contre la volonté des grandes sociétés d'assurance et contre
celle d'une partie des juristes travaillant dans le domaine de la responsabilité civile.
L'abolition de la peine capitale a également été acquise à une époque où la
majorité de citoyens affirmait toujours être en accord avec son maintien. La législation
va même parfois au-delà de la demande sociale, comme lors de l'adoption
de la Loi sur la protection de la jeunesse (L.R.Q. c. P-32.1 24). Mais ce fut
également le cas en matière d'accès à la justice au moment où était adoptée la
Loi sur le Recours collectif (L.R.Q. c. R-2.1 25) et, en matière familiale, au moment
de l'adoption de la réforme du droit de la famille qui institua entre autres,
en 1980, le droit pour les deux parents de donner à leur enfant leur nom de famille
respectif (art. 51 C.c.Q.). Dans ces deux cas, on aura constaté que les possibilités
offertes par le droit n'ont répondu au besoin que d'une minorité de citoyens.
Ainsi, la majorité des parents continuent encore aujourd'hui à donner à leurs enfants
le nom de famille du père et l'utilisation du Recours collectif dépasse rarement
plus de vingt causes par année 26.
En vérité, le problème de la compatibilité ou de l'incompatibilité du droit
avec l'innovation sociale se pose autrement que sous la forme d'une simple équation.
C'est moins dans sa nature spécifique, son caractère obligatoire ou supplétif,
ni même dans la fixité supposée de ses contenus, que le droit limite la portée
ou la reconnaissance de l'innovation sociale, car une fois adoptée, la loi peut
20. Camille CHARRON, Effets et méfaits de la Loi Pérodeau, Mémoire de maîtrise, Faculté de droit,
Université de Montréal, Montréal, 1973.
21. Voir, concernant un certain nombre de ces réformes : Renée JOYAL, Les enfants, la société et
l'État de droit au Québec, HMH, Montréal, 1999.
22. Concernant les conséquences de ces lois statutaires, on lira un article ancien mais très éclairant
de Louis-Philippe Pigeon, publié en 1945, alors que ces législations se multipliaient : LouisPhilippe
PIGEON, « Nécessité d'une évolution du droit civil », dans Cahiers de la Faculté des
sciences sociales de l'Université Laval, 3, 9, 1945, p. 1-23.
23. Voir dans cette perspective le court article publié par le doyen de la Faculté de droit de l'Université
Laval, dans un quotidien de la fin des années 30 : Ferdinand ROY, « 'Les fureurs d'un
juriste' par le juge Ferdinand Roy », dans L'Action catholique, 32, 9905, mardi 14 février 1939,
p. 9.
24. Renée JOYAL, Les enfants, la société et l'État de droit au Québec, HMH, Montréal, 1999.
25. Sur le contexte de mise en application de la loi, on lira Pierre-Claude LAFOND, « Le recours
collectif : entre la commodité procédurale et la justice sociale », dans Revue de droit de l'Université
de Sherbrooke, 29, 1-2, 1998-1999, p. 38 ; à noter que l'ensemble de ce double numéro
de la revue porte sur différents aspects de la législation en matière de recours collectif.
26. On consultera avec intérêt le rapport annuel de la Direction générale des services juridiques,
chargée de l'administration des tribunaux.
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DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 63, 2024
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