Droit et Société - Volume 63 - Droit, justice et changement social - 47

LE DROIT ET LA JUSTICE COMME LABORATOIRE DU CHANGEMENT SOCIAL
1o Il est établi sur une conception extensive du droit, inspirée par le pluralisme
juridique 9. La normativité juridique n'y est pas limitée aux contenus supposés
fixes de la législation et de la réglementation, mais inclut également toutes
les pratiques, les instances sociales et les acteurs impliqués dans sa définition,
dans sa délimitation, dans son interprétation et dans les modalités de sa mise en
œuvre.
2o Partant, il récuse l'idée d'un droit défini hiérarchiquement dont la source
serait unique (le Législateur) et reconnaît en contrepartie que le droit est toujours
le fait d'une production collective dont les contributeurs œuvrent largement en
marge des cadres institués de l'activité législative ou réglementaire où on le confine
généralement.
3o Par ailleurs, le modèle remet en question la division rigide qui tend à
placer d'un côté l'activité juridique et de l'autre l'activité sociale, le droit et la
société comme deux champs d'action distincts. Il reconnaît conséquemment que
si le droit comporte de véritables effets sociaux, il n'échappe pas à sa réappropriation
et à sa redéfinition sociales continues, non plus qu'au mouvement -
complémentaire, parallèle, oblique ou opposé - d'autres sources de normativité,
dont le droit ne peut s'extraire ni dans sa définition ni dans son évolution, ni dans
sa mise en œuvre.
4o Il suppose que tout processus de réforme du droit, s'il peut être théoriquement
localisé à certains moments précis du temps social, ne se limite pas à l'action
arrêtée et située du Législateur, et constitue le produit d'un processus social
plus large et plus continu que celui que propose une conception strictement institutionnelle
de la vie juridique.
5o Pour la même raison, finalement, les mutations du droit ne tirent pas uniquement
leur origine d'un énoncé ou d'un « acte de volonté » rationalisé et formalisé
10 mais, potentiellement aussi, de toute référence objectivée susceptible
de constituer de facto une norme partagée.
Évidemment, le modèle proposé n'échappe à aucun des risques de la modélisation.
Il s'agit tout au plus d'une mise à plat. Elle vise à « faire voir quelque
chose ». La réalité, dans toute sa complexité, loge ailleurs. L'image ne se substitue
jamais à la réalité. Mais il faut un commencement à tout. Quoi qu'il en soit
de la cartographie proposée, elle réfère toujours directement à l'idée que la vie
sociale est le produit d'une tension continue entre deux mouvements. Le premier
tend à favoriser l'objectivation des rapports sociaux (processus dont le droit n'est
9. Guy ROCHER, « Pour une sociologie des ordres juridiques », dans Les Cahiers de droit, 29, 1,
1988, p. 91-120 ; Jean-Guy BELLEY (dir.), Le droit soluble : Contributions québécoises à
l'étude de l'internormativité, Librairie générale de droit et de jurisprudence, Paris, 1996.
10. Hans KELSEN, Théorie pure du droit, Dalloz, Paris, 1962.
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DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 63, 2024

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