Droit et Société - Volume 63 - Droit, justice et changement social - 75

L'INSTITUTIONNALISATION DES NOUVELLES PRATIQUES DE JUSTICE
donné 20. L'institution cherche alors à maintenir son monopole sur un champ donné
de l'activité sociale. S'agissant de l'institution judiciaire, il implique le contrôle des
pratiques et des normes en matière de gestion des différends sociaux (leur traduction
sous forme de litiges). L'intégration de sources de normativité concurrentes,
de nouveaux agents institutionnels et de nouvelles pratiques sociales en émergence
est par conséquent conditionnée par l'élimination de tout ce qui pourrait venir perturber
l'activité régulière de l'institution, ses mécanismes de justification ou son
identité particulière. Elle suppose l'adhésion pleine et entière des nouveaux agents
sociaux aux valeurs dominantes promues par l'institution et, en contrepartie, leur
reconnaissance comme agents actifs de cette institution.
Cette dernière forme d'institutionnalisation est vraisemblablement la plus
susceptible de se réaliser, à long terme. Aussi, le pluralisme de cohabitation estil
plus rare que le pluralisme de récupération. Dans chaque cas, la professionnalisation,
la justification et la bureaucratisation des pratiques prennent un sens différent.
Prenons ici l'exemple de la médiation familiale dont nous avons dit qu'il
permettait l'illustration de ce qui précède.
3.2. Le cas de la médiation familiale en France et au Québec
Nous étudierons ici l'intégration de la médiation familiale dans le registre des
pratiques judiciaires reconnues 21. L'intérêt de la médiation familiale dans le
cadre de cette étude tient au fait qu'elle bénéficie d'une institutionnalisation incomplète
et que les enjeux de cette intégration institutionnelle s'imposent encore
avec force à l'observateur. Une analyse des cas de la France et du Québec nous
permettra de moduler les interprétations que nous pouvons donner du procès
d'institutionnalisation.
3.2.1. La médiation : un modèle de gestion des différends
Définissons d'abord de quoi il est question ici, car il existe un type idéal de
la médiation. Celle-ci est ordinairement considérée comme une méthode « alternative
» de gestion des conflits 22. On affirme généralement qu'elle doit favoriser
l'autonomie et la réciprocité plutôt que la contrainte et qu'elle permet la mise en
forme des attentes mutuelles des parties plutôt que le simple règlement des litiges.
Aussi, la médiation fait des parties en présence les agents de leur propre
20. Il ne s'agit évidemment pas ici de reconnaître une personnalité aux institutions. Nous utilisons
ici une métaphore dangereuse. Il y a dans l'institutionnalisation et dans la vie des institutions
des acteurs agissant dont nous ne pouvons nous attarder ici à décrire l'action, mais qui en sont
les véritables agents.
21. La médiation en matière familiale ne constitue pas le seul cas de figure possible. Voir, relativement
à l'intégration institutionnelle de la médiation en matière pénale, le texte très suggestif de
Jacques FAGET, « La double vie de la médiation », dans Droit et Société, 29, 1995, p. 25-38.
22. Relativement à la médiation, voir l'article synthèse de Étienne LE ROY, « La médiation mode
d'emploi », dans Droit et Société, 29, 1995, p. 39-55. Sur la comparaison empirique entre médiation
et adjudication, consulter l'article récent de Roselle L. WISSLER, « Mediation and Adjucation
in the Small Claims Court: The Effects of Process and Case Characteristics », dans Law
and Society Review, 29, 2, 1995, p. 323-358.
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DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 63, 2024

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