Droit et Société - Volume 63 - Droit, justice et changement social - 79

L'INSTITUTIONNALISATION DES NOUVELLES PRATIQUES DE JUSTICE
tentation qui est aujourd'hui la plus forte, à la fois parce qu'elle entérine un mouvement
déjà existant, qu'elle rencontre l'enthousiasme de nombreux experts, et
ne quitte pas le cadre public » 34.
Ce que Irène Théry dénonce ici, c'est évidemment la confusion des genres
entre adjudication et médiation. Elle souligne ailleurs, prenant fait et cause pour
l'intégrité du processus judiciaire, que la tentation est grande, chez le juge, d'abdiquer
son autorité sur la décision judiciaire ; mais le risque est sans doute plus
grand encore de voir les praticiens de la médiation soumettre leur intervention
aux impératifs de l'institution qui les reconnaît en consacrant leur légitimité
comme experts de la Cour. C'est du moins la tendance également observée aux
États-Unis ou en Angleterre, où le besoin de répondre aux impératifs de l'institution
la plus forte a souvent conduit les médiateurs à standardiser leur pratique,
en la qualifiant à partir des catégories offertes par l'appareil judiciaire et des
normes juridiques établies, processus qui favorise à la fois la professionnalisation
de la pratique, la construction d'une nouvelle justification de la médiation et
d'une forte bureaucratisation de l'action : « Le médiateur juridique, souligne
Lisa Parkinson, transcrit en langage juridique les demandes des parties et propose
des solutions qui ont des chances d'être acceptées par le tribunal » 35.
Cette tendance est entièrement inscrite dans la nouvelle législation française
portant sur la médiation familiale: la loi 95-125 du 8 février 1995. Celle-ci, loin
de favoriser la cohabitation de divers procédés de résolutions des différends conjugaux
implique la soumission entière de ces procédures aux besoins de la Cour.
La chose tient au fait que la médiation est rendue obligatoire dès qu'elle est exigée
par le juge en cours d'instance. Dans une allocution récente, Madame Nathalie
Riomet du ministère de la Justice reconnaît cet état de fait: « La médiation
peut être décidée à tout moment de l'instance. Elle a été conçue comme un temps
de parenthèse dans la procédure mais il ne s'agit en aucun cas, d'une mesure qui
dessaisit le juge a profit d'une tierce personne pendant toute la durée de la mesure
[...]. Le juge va alors désigner une tierce personne pour exercer la mesure de
médiation. La durée choisie pour la médiation sera de trois mois renouvelable
une fois [...]. Le juge, lorsqu'il décide une mesure de médiation avec l'accord
des parties, doit par ailleurs s'entourer de garanties pour que la mesure fonctionne
de manière satisfaisante. Dès l'abord, la question qui émerge est celle de
la désignation du médiateur. Nous connaissons bien, au ministère de la Justice,
la grande part prise par les associations dans les médiations familiales puisque la
médiation familiale s'est principalement développée en France dans le cadre associatif,
et ce, grâce à l'action de leurs partenaires financiers institutionnels. Il
n'en reste pas moins vrai, malgré cette implication des associations que la médiation
repose sur une relation triangulaire créée entre le juge, les parties et le
34. Irène THERY, Le démariage, Éditions Odile Jacob, Paris, 1993, p. 324.
35. Cité par Irène THERY, Le démariage, Éditions Odile Jacob, Paris, 1993, p. 313. Sur cette question,
voir également Irène THERY, « Divorce et psychologisme juridique : quelques éléments de
réflexion sur la médiation familiale », dans Droit et Société, 20-21, 1992, p. 211-228.
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DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 63, 2024

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