Droit et Société - Volume 63 - Droit, justice et changement social - 8

DROIT, JUSTICE ET CHANGEMENT SOCIAL
1. Le droit et la justice : analyseurs du changement social
Les études sociologiques ont-elles-mêmes favorisé l'analyse du droit et de la
justice par leurs démembrements, en réponse à une définition unifiée de la régulation
juridique. Se sont ainsi multipliées les études sur la conscience du droit,
l'effectivité des lois, l'accès au droit et à la justice, les nouvelles pratiques de
justice, la fonction des intermédiaires du droit, la réforme de l'activité judiciaire
et, dans tous les cas, sur les processus et les formes diverses qui caractérisent la
réappropriation sociale de la normativité juridique, qu'elle soit de nature substantive
ou procédurale. Cette multiplication peut elle-même laisser l'impression
d'un éclatement continu du processus de rationalisation porté par la modernité
juridique et dont la juridicisation des rapports sociaux était l'expression privilégiée.
N'y a-t-il plus alors que subjectivation du monde et remise en cause de toute
forme d'objectivation sociale ; celle d'une société inscrite d'avance dans la lettre
de la loi.
Mais cette inquiétude n'a de sens que dans la perspective d'un droit imposé
« d'en haut », plutôt que dans celle d'un droit défini en tant qu'espace d'interaction
sociale, ou objet de délibération continue sur les conditions de la vie en commun.
Or, c'est cette perspective qu'il faut sans doute réhabiliter. Le droit et la
justice deviennent du coup des analyseurs du changement social, le droit posé,
en tant que procédé de fixation du « consensus public », la justice comme instance
de contextualisation du droit dans chaque cas particulier.
Or, problématiquement, le changement social est souvent conçu comme un
processus linéaire. Abordées dans une perspective diachronique, on fait ainsi se
succéder les époques ou les étapes, chacune chargée de sa cohérence interne et
de sa logique propre. On oublie souvent alors le va-et-vient dans lequel ces références
se sont développées et les espaces sociaux multiples où ces mouvements
se sont déployés.
Cet ouvrage se propose d'aborder le changement en tant que produit de processus
contraires qui, sans s'opposer « frontalement », se croisent.
1.1. Objectivation et subjectivation de la norme
On aborde ici le droit dans sa fonction régulatrice. La normativité juridique
ne définit pas tant le comportement des acteurs (individuels ou collectivités)
qu'une anticipation des formes qu'emprunteront ces comportements 3. Georg
Simmel parle pour sa part de forme de socialisation, un concept qui renvoie à
une idée équivalente à celle de la norme 4. En regard de sa fonction régulatrice,
3. Max WEBER, Sociologie du droit, Presses universitaires de France, Paris, 1986 ; Michel COUTU,
Max Weber et les rationalités du droit, Presses de l'Université Laval/Librairie générale de droit
et de jurisprudence, Québec /Paris, 1995, p. 47-50 ; George PAVLICH, « Max Weber, Modern
Disenchantment, and the Rationalization of Law », dans George PAVLICH, Law & Society Redefined,
Oxford University Press, Don Mills, 2011, p. 103-116.
4. Georg SIMMEL, « Digression sur le problème : comment la société est-elle possible ? [1908] »,
dans Patrick WATIER (dir.), Georg Simmel, la sociologie et l'expérience du monde moderne,
DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 63, 2024
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