Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 170 - Le gouvernement de fait de la Révolution à la Libération - 158

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LE GOUVERNEMENT DE FAIT DE LA RÉVOLUTION À LA LIBÉRATION
perdu des biens du fait de la Révolution française. L'avocat général, M. Cahier22,dans un
raisonnement annexe, reconnaît l'effectivité des expropriations opérées par les régimes précédant
la Restauration, en raison du fait que la Charte, « ratifiant l'œuvre du gouvernement
de fait, son negotiorum gestor, a rétroagi au jour où les ventes avaient été consommées »23.
Ce point nesemblepas fairel'objet d'une contestationdelapart delaCour, quandbien
même elle rejette le pourvoi. Cette idée était déjà présente dans le jugement du Tribunal
de Police correctionnelle de 1817 portant sur l'opuscule anonyme de 181524,aumoment
où le substitut au procureur du Roi affirmait la validité des jugements rendus durant la
période des Cent-Jours, à la condition substantielle qu'ils fussent revêtus de la formule
royale et non plus impériale, en application de l'ordonnance du 19 août 1815. Cette ratification
a posteriori confirme, selon lui, le principe de la légitimité et incite à rejeter « le
faux principe du gouvernement de fait »25. Selon cette logique, un acte ne serait jamais
effectif tant qu'une autorité légitime (uniquement monarchique selon cette perspective)
ne le reconnaîtrait pas a posteriori ; autorité qui n'admet jamais, en revanche, l'effectivité
du gouvernement. Ainsi, dans la construction de cette fiction, l'acte existe sans que l'autorité
qui l'a édicté ait de réalité institutionnelle, comme déraciné bien que valide.
246. Ce paradoxe cristallise une position nettement affirmée par les tribunaux
français, qui consiste à dénier toute forme juridique à la domination. Ainsi, la Cour
d'appel de Paris, dans un arrêt du 31 mai 1816, Bourdois c. Cacatte, érige en principe
général l'idée qu'un pouvoir de fait n'équivaut qu'à une domination passagère et illégitime
qui ne conduit pas à « la possession du royaume », subordonnant alors la question
de l'effectivité à celle de la légitimité26.En l'espèce, elle refuse toute effectivité
ni validité aux actes du gouvernement de Joseph Bonaparte, placé sur le trône d'Espagne
par son frère Napoléon, et va même jusqu'à en nier purement et simplement
l'existence. L'arrêt n'est pas dénué d'ambiguïtés : embarrassée de l'existence effective
des gouvernements révolutionnaires et de l'autorité impériale en France et, surtout, de
la persistance de nombre de leurs actes, la Cour semble pourtant reconnaître une
« espèce de légalité »27 attribuée aux gouvernements de fait. En réalité, par-delà la
contradiction apparente, une telle décision permet de dénier toute effectivité au gouvernement
de Joseph Bonaparte, tout en évitant de s'enfermer dans les contradictions
de sa propre jurisprudence et dans celles de la politique de la Restauration qui
implique le principe de la légitimité monarchique28.
22. Cet avocat général près la Cour de cassation d'éducation libérale exerça sa charge sous la Révolution,
l'Empire et la Restauration, ainsi qu'au début de la Monarchie de Juillet, avant d'être emporté par le
choléra en 1832. Il est le père d'Auguste‑Louis‑Jean Cahier, président de chambre à la Cour d'appel
de Douai (A. ASSELIN, « Notice nécrologique du président Auguste Cahier », Mémoires de la société d'agriculture,
de sciences et d'arts du département du Nord, t. 11 : 1870-1872, Douai, Lucien Crépin éditeur,
1873, p. 511‑516).
23. Cass., 26janvier 1830, Layton c. de Vauban (S. 1830, I, p. 153).
24. Cf. supra, nº 241, 242.
25. Moniteur universel, 14 mars 1817, p. 300.
26. « La cour, considérant que la domination violente exercée par Joseph Bonaparte en Espagne ne
peut pas mériter même le nom de gouvernement usurpateur, et que ses actes ne peuvent obtenir cette
espèce de légalité que les publicistes attribuent, en abstraction, aux actes d'un pareil gouvernement, puisqu'il
n'a jamais été en possession du royaume [...] le gouvernement souverain légitime résidait dans d'autres
provinces et y exerçait des actes qui prononçaient la nullité de tous ceux du gouvernement intrus » (S.
refondu, 1, 5, 2, 153). Cet arrêt va bien plus loin que tous les autres qui portent sur un pareil sujet, car il va
jusqu'à dénier la qualité de « gouvernement usurpateur » au pouvoir exercé par Joseph Bonaparte.
27. Ibid.
28. À ce titre, il est d'autant plus pertinent de mettre l'avis de la Cour en miroir du commentaire au
recueil, datant de 1843 et qui permet de constater le changement de conception qui s'est opéré entre-temps :
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