Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 170 - Le gouvernement de fait de la Révolution à la Libération - 22

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LE GOUVERNEMENT DE FAIT DE LA RÉVOLUTION À LA LIBÉRATION
12. Le détour par le droit comparé. D'autres États connaissent le concept de
e siècle sous la plume de John Austin. L'avocat et
gouvernement de fait, à l'instar de l'Angleterre, dans laquelle on le retrouve au
début de la seconde moitié du XIX
philosophe du droit identifiait trois formes de gouvernement : celui à la fois de fait et
de droit forme le gouvernement régulier - qu'on pourrait appeler constitutionnel -,à
côté duquel on rencontre le gouvernement de droit mais pas de fait et le gouvernement
de fait sans droit. Austin dissocie, dans une perspective positiviste, les gouvernements
de droit qui ne sont plus obéis ni effectifs (dejure mais pas defacto) et ceux
qui sont au pouvoir, mais qui y sont parvenus illégalement (de facto mais pas de
jure)30. Ses conclusions diffèrent cependant du sens qui se dégage de la pratique française,
qui a plutôt tendance à voir une différence de nature entre gouvernements de
fait et de droit. En revanche, elles confirment que c'est à l'aune du positivisme juridique
que s'appréhende le concept de gouvernement de fait.
13. Dans les Amériques, une « doctrine du gouvernement de fait » se développe
également avec l'appui des cours suprêmes, notamment en Argentine ou aux États‑Unis.
Dans ce dernier État, la guerre de Sécession (1861‑1865) rend le besoin d'outils
juridiques pour appréhender les changements informels de gouvernements impérieux,
comme le montre un procès de 186131. Ce contentieux résulte de ce qu'un des premiers
actes révolutionnaires, après la rébellion au Sud des États-Unis d'Amérique, fut
pour Jefferson Davis (le président des États confédérés au Sud) de remettre des lettres
de marque à des navigateurs pour qu'ils puissent se livrer à des actes de pillage contre
les navires du Nord. Lorsque le capitaine du Savannah a été capturé et ramené à NewYork
pour y être jugé, la question s'est posée de savoir si son équipage et lui‑même
devaient être jugés en tant que pirates ou corsaires. Selon La gazette des tribunaux -
le journal dont est extraite l'affaire - si le tribunal admettait l'existence dans le Sud
d'un gouvernement de fait, donc d'un état régulier de guerre entre deux parties belligérantes,
alors il s'agissait d'actes de corsaires, légitimés par la guerre. Le droit des
gens devait donc s'appliquer. Si, au contraire, le statut de gouvernement de fait était
nié au Sud, il ne s'agissait par conséquent que de pirates, appréhendés comme des
criminels au sein de l'État, devant être soumis à son droit pénal. En l'espèce, le gouvernement
et les officiers de police judiciaire ont choisi de les traiter selon le droit
pénal national et les ont traduits devant la cour fédérale du district de New-York, refusant
ainsi tacitement de reconnaître un gouvernement de fait dans le Sud. La défense
des accusés reposait évidemment sur l'idée qu'ils n'étaient pas pirates mais bien belligérants
au service d'un gouvernement ennemi32. La qualification ou non de gouvernement
de fait était donc cruciale. L'accusation se trouvait extrêmement embarrassée
car, à l'époque des faits, il semblait politiquement épineux, pour l'Union, de reconnaître
la qualité de gouvernement aux insurgés du Sud. Le juge Nelson lui-même trahissait
sa gêne en précisant : « [q]uant à la question de savoir s'il y a lieu de tenir
compte, dans l'appréciation des faits et des circonstances, de l'existence dans le Sud
d'un gouvernement de facto, jouissant des droits et des prérogatives attachés à la
30. J. AUSTIN, Lectures on jurisprudence, or the philosophy ofpositive law, t. I, London, John Murray,
1869 [third edition by Robert Campbell], p. 336 et s.
31. Moniteur universel, 22 décembre 1861, p. 1789, reproduit dans la rubrique « faits divers », dans
la partie consacrée aux tribunaux étrangers et extrait de La gazette des tribunaux.
32. Ibid., selon les mots mêmes de l'avocat de la défense : « L'on peut, tant que l'on voudra, se
refuser à reconnaître la légitimité des États confédérés ; on ne pourra jamais leur enlever leur qualité de
gouvernement de fait », tout le prouve, selon ce dernier, et il s'emploie à essayer de le démontrer.

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