Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 170 - Le gouvernement de fait de la Révolution à la Libération - 231

ASSENTIMENT
231
gouvernants avec les gouvernés, elle le fait au profit des premiers et non plus des
seconds146.
369. La France libre proclame, elle aussi, le devoir de désobéissance envers l'usurpateur,
en l'occurrence Pétain. L'exemple le plus frappant demeure la brochure de René
Cassin publiée dans la revue La France libre de décembre 1940-janvier 1941, où le professeur
exprime que « [n]i en droit, ni en conscience, ni d'après la loi civile, ni d'après les
principes religieux, une obéissance quelconque n'est due à un pouvoir usurpé qui ne se
maintient, en France, que par la répression et par les baïonnettes allemandes »147.L'argument
vient au renfort de ladite déclaration organique du 16 novembre 1940 dans laquelle
le général de Gaulle s'employait déjà à démontrer tant l'illégalité que l'illégitimité du
gouvernement de Vichy pour en tirer la conséquence que « tout Français [...] est dégagé
de tout devoir envers le pseudo-gouvernement de Vichy... »148. Toutefois, les conséquences
tirées de ce que le pouvoir est usurpé en métropole ne conduisent pas Charles
de Gaulle à s'affirmer seul détenteur du droit (comme le fit Louis XVIII depuis Gand en
1815). Au contraire, les circonstances imprévisibles sont propres à légitimer un gouvernement
provisoire, sur le fondement de « la volonté des Français Libres » - ceux qui n'ont
pas été réduits au silence par le gouvernement usurpateur - et qui devra « répondre de ses
actes devant les représentants de la Nation, dès que ceux-ci auront la possibilité d'exercer
librement et normalement leur mandat »149.L'utilisation de l'assentiment, pour pallier
l'absence de titre de la France libre, rappelle donc moins le bon droit outragé de 1815
que la légitimité pondérée de 1870. Dans les discours de la France libre, l'assentiment
ne se fait pas le support d'un pouvoir de droit, mais vient, au contraire, légitimer provisoirement
un gouvernement qui assume son illégalité. La France libre s'adjoint des institutions
provisoires, telle une Assemblée consultative provisoire en 1943150, et légifère
« au nom du peuple français », son Chef rappelant régulièrement l'adhésion dont les gouvernés
luifontpart151. Les multiples rappels de la convocation d'une assemblée constituante
et de la réunion - lorsque les circonstances le permettront - des électeurs
146. On peut voir dans le discours de Vichy sur l'assentiment le miroir inversé de celui de la Commune.
147.
R. CASSIN, « Un coup d'État : la soi-disant constitution de Vichy », loc. cit.,p. 7.
148. Déclaration organique du 16 novembre 1940 complétant le manifeste de Brazzaville du 27 octobre
1940 (JOFL, 20janvier 1941, p. 4) : « Considérant, en résumé, que, malgré les attentats commis à
Vichy, la Constitution demeure légalement en vigueur, que, dans ces conditions, tout Français, et, notamment,
tout Français Libre, est dégagé de tout devoir envers le pseudo-gouvernement de Vichy, issu d'une
parodie d'Assemblée nationale, faisant fi des Droits de l'Homme et du Citoyen, et du droit de libre disposition
du peuple, gouvernement dont au surplus tous les actes établissent péremptoirement qu'il est dans la
dépendance de l'ennemi ».
149. Ibid.
150. V. notamment l'ordonnance du 11 octobre 1944 modifiant la composition, le fonctionnement et
les attributions de l'Assemblée consultative provisoire instituée par l'ordonnance du 17 septembre 1943
(JO (Alger), 12 octobre 1944, p. 917).
151. De nombreux discours et préambules d'ordonnances vont en ce sens. On retiendra surtout l'ordonnance
du 24 septembre 1941 portant organisation nouvelle des pouvoirs publics de la France Libre et
ayant le caractère d'une Constitution provisoire, véritable synthèse du discours de la France libre : « Au
nom du peuple et de l'Empire français. [...] Considérant que la situation résultant de l'état de guerre continue
d'empêcher toute réunion et toute expression de la représentation nationale ; Considérant que la Constitution
et les lois de la République française ont été et demeurent violées sur tout le territoire métropolitain et
dans l'Empire, tant par l'action de l'ennemi que par l'usurpation des autorités qui collaborent avec lui ;
Considérant que de multiples preuves établissent que l'immense majorité de la nation française doit accepter
le régime imposé par la violence et la trahison et voit dans l'autorité de la France Libre l'expression de
ses vœux et de sa volonté... » (C. DEGAULLE, Discours et messages. Pendant la guerre. Juin 1940-janvier
1946, Paris, Plon, 1970, p. 104) (souligné par nous).
Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 170 - Le gouvernement de fait de la Révolution à la Libération

Table des matières de la publication Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 170 - Le gouvernement de fait de la Révolution à la Libération
