Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 170 - Le gouvernement de fait de la Révolution à la Libération - 24

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LE GOUVERNEMENT DE FAIT DE LA RÉVOLUTION À LA LIBÉRATION
vers l'histoire du droit interne, car le droit international, s'il peut sembler une solution
adéquate par le recours à la reconnaissance de gouvernement, demeure en réalité
impropre pour identifier le gouvernement de fait en droit constitutionnel.
17. Le rejet de la reconnaissance internationale. Le gouvernement de fait
connaît une certaine fortune en droit international, surtout à partir de la fin du XIX sièe
cle.
Il repose sur un mécanisme de reconnaissance, consistant en ce que la nature du
gouvernement serait subordonnée à l'acte juridique par lequel un État, ou une grande
partie de la communauté internationale prennent acte de l'existence defacto d'un gouvernement
établi dans un autre État40. Son utilisation comme critère d'identification
du gouvernement de fait en droit interne a pourtant été considérée inadéquate à plusieurs
reprises. En France, un avocat général, M. Sarrut, l'évoque clairement dans ses
conclusions sur un arrêt de la Cour d'appel de Paris du 9juillet 1891, Société des
Forges et Chantiers de la Méditerranée et Gouvernement de la république du Chili
c. Gouvernement provisoire du Chili41. Mais surtout, la marginalisation de la reconnaissance
internationale est présente dans la doctrine, qui appelle à bien distinguer les
deux approches, internationale et interne, du gouvernement de fait42. Plusieurs auteurs
rejettent la pertinence du droit international - tout en en conservant une partie de ses
outils - pour déterminer les critères du gouvernement de fait en droit interne43. Scipione
Gemma s'attache à démontrer que l'existence du gouvernement de fait ne peut
être subordonnée au principe de la reconnaissance, car rien n'oblige les États étrangers
à reconnaître un gouvernement plutôt qu'un autre lors d'une insurrection44.La
nature du gouvernement ne peut donc y trouver son fondement en droit interne, sans
quoi le risque que ce soit in fine le motif ou le prétendu bien‑fondé de l'insurrection
qui préjugerait de son caractère de facto ou de jure serait latent, ce qui ne saurait
constituer un critère juridique adéquat : « [c]e n'est donc pas la cause de l'insurrection
qui décide, mais sa consistance »45. Georges Burdeau en arrive également à rejeter la
reconnaissance internationale en ce qu'elle lui paraît davantage résulter « des considérations
subjectives qui dicteront aux chancelleries l'attitude qui leur paraît
40. J. SALMON, Dictionnaire de droit international public, Bruxelles, Bruylant, 2001, vº Reconnaissance,
p. 938‑946, notamment p. 941.
41. S. 1895, II, p. 307 : «N'admettre un gouvernement étranger à ester en justice qu'autant qu'il a été
officiellement reconnu, c'est ne pas tenir suffisamment compte de la portée du fait, dans une matière que le
droit écrit ne régit pas, c'est s'attacher à une conception, selon moi, inexacte ».
42. Notamment en ce que la théorie de la reconnaissance ne coïncide pas avec le droit interne, elle se
situe sur un plan spécifiquement international, dans un rapport d'État à État et non plus d'État à nation.
V. en ce sens : C. GOSSENS, « Les gouvernements de fait en Belgique », Travaux de l'association Henri
Capitant pour la culture juridique française, t. XI, [Journées lilloises 31 mai-3juin 1957],
éd. J. CARBONNIER et alii., Paris, Dalloz, 1960, p. 271-273.
43. Par exemple : L. LÉCHARNY, La validité des actes internes des gouvernements de fait..., op. cit.,
p. 7 à 35 ou N. HENRY, Les gouvernements de fait devant le juge, op. cit., p. 1 et s., et p. 237.
44. Il note ainsi que l'on « pourrait être persuadé du bon fondement en justice de la cause des insurgés
et toutefois on n'aurait pas pour cette raison la compétence d'une déclaration de légitimité ni le devoir
juridique d'une reconnaissance », au contraire de l'ancienne littérature du droit des gens qui imposait aux
États, selon lui, une conduite différente selon que l'insurrection contre le souverain était juste ou non
(S. GEMMA, « Les gouvernements de fait », loc. cit., p. 406).
45. S. GEMMA, « Les gouvernements de fait », loc. cit., p. 406. En outre, la pratique l'atteste. Cela
ressort nettement d'un extrait du journal La Patrie de 1861, reproduit au moniteur universel, qui mentionne
que « la reprise des rapports diplomatiques avec Turin n'impliquerait, de la part de la France, au sujet de la
politique du royaume italien, aucun jugement sur le passé ni aucune solidarité pour l'avenir. Elle constaterait
que le gouvernement de fait de ce nouvel État est suffisamment établi pour qu'il soit possible d'entretenir
avec lui des relations internationales que réclament impérieusement les intérêts des deux pays »
(Moniteur universel, 16juin 1861, p. 900).

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