Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 170 - Le gouvernement de fait de la Révolution à la Libération - 307

Chapitre 2
ÉTENDUE DES POUVOIRS
487. Les compétences reconnues au gouvernement de fait soulèvent un certain
nombre d'interrogations suscitées par la notion même de pouvoir. Difficilement
accessible1, souvent cryptique, ce terme de « pouvoir » en droit est employé diversement
et, à l'instar de celui d'autorité ou de puissance, peut désigner à la fois l'organe
qui agit, mais aussi la fonction elle‑même2. Le pouvoir désigne ici au sens large la
compétence principale du gouvernement, celle d'exercer la puissance de l'État. Il
s'agit donc d'une capacité à émettre des commandements assortis d'une obéissance
de la part de ceux qui les reçoivent. Le pouvoir relève donc d'une faculté d'agir participant
de la volonté et dont l'exercice est susceptible de produire des effets de droit3.
Il se distingue toutefois de la force pure, puisqu'en tant qu'il est exercé au nom de
l'État, il est perçu comme légitime par ceux qui le reçoivent4. Ainsi, dans un cadre
constitué il est souvent assimilé à l'idée de pouvoir d'État, c'est-à-dire la souveraineté.
Dans ce cas, le pouvoir apparaît le plus souvent borné et plus ou moins défini.
Or, pour les gouvernements de fait, justement en raison de l'absence de cadre constitué,
la nature et la délimitation des attributions dont peut se prévaloir le gouvernement
font l'objet d'une incertitude fondamentale.
488. Ce qui peut sembler étonnant à l'issue d'une transition constitutionnelle,
c'est que les acteurs se posent avant toute chose la question de la valeur des actes,
1. Kelsen, par exemple, demeure dubitatif envers la notion de pouvoir, que son système implique de
renvoyer au fait (la domination) pour se concentrer plutôt sur le devoir. Il envisage le « pouvoir d'État »
avant tout dans sa subordination au droit au sein de l'ordre juridique (H. KELSEN, Théorie pure du droit, op.
cit., p. 284). Il ne le nie pas, mais, comme le dit Carlos‑Miguel Herrera, le pouvoir chez Kelsen « est dissous
dans le droit » pour réapparaître « dans la technicité » (C. ‑M. HERRERA, Théoriejuridique et politique
chez Hans Kelsen, Paris, Kimé, 1997, p. 226‑267). Sur ce point et, de manière générale, sur la notion de
pouvoir, son utilité en droit constitutionnel et les difficultés qu'elle peut poser v. : R. VINCENT, Le Parlement
réuni en siège commun sous la Ve
République, [th. droit, Paris] 2021 [à paraître : Paris, IRJS Éditions,
2024], p. 474 et s. et p. 477 et s.
2. Burdeau fait état de cette dualité : « [l]e Pouvoir est, en effet, le siège d'une ambiguïté fondamentale
qui résulte de ce que l'on ne peut séparer les deux plans sur lesquels il se présente à nous : le plan de
l'histoire et le plan conceptuel [...]. Désignant à la fois l'autorité et celui qui en use, il respecte l'ambiguïté
qui est l'essence même du phénomène » (G. BURDEAU, La politique au pays des merveilles, Paris, PUF,
1979 (La Politique éclatée), p. 92). V. aussi, sur la notion de puissance chez Burdeau : G. BURDEAU, Traité
de science politique, t. II, op. cit., p. 104‑105.
3. Maurice Hauriou le définit ainsi comme « une libre énergie de la volonté qui assume l'entreprise
du gouvernement d'un groupe humain par la création de l'ordre et du droit » (M. HAURIOU, Précis de droit
constitutionnel, op. cit., p. 14).
4. V. en ce sens M.WEBER, Le savant et le politique, op. cit., p. 125 ; O. BEAUD, La puissance de
l'État, op. cit.,p. 9.

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