Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 170 - Le gouvernement de fait de la Révolution à la Libération - 34

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LE GOUVERNEMENT DE FAIT DE LA RÉVOLUTION À LA LIBÉRATION
les deux discours sont antinomiques, puisque l'un reconnaît que l'usurpation emporte
la nullité et l'autre, très marginal à cette époque, évoque une « espèce de légalité ».
Ces imprécisions qui entourent de manière symptomatique le concept de gouvernement
de fait démontrent l'écueil d'une approche essentialiste. D'un même terme, différents
interprètes vont tirer des conséquences juridiques drastiquement discordantes :
le partisan du gouvernement de fait est condamnable pénalement comme un traître ou,
au contraire, déchargé de sa responsabilité selon le sens qui lui est alloué ; de même,
les actes de l'autorité illégale seront appréhendés tantôt comme nuls, tantôt comme
valides, à divers degrés. On comprend alors que le terme de gouvernement de fait
sert d'expédient, c'est-à-dire qu'il est utilisé comme un moyen détourné, un palliatif
convenable et expéditif, pour résoudre une situation juridique déconcertante en la
contournant ou en ne s'embarrassant pas d'entrer dans les détails.
37. Le recours à l'histoire du droit permet toutefois de nuancer ce constat. Si
chaque discours, pris indépendamment, permet difficilement d'établir une définition
du gouvernement de fait, une approche diachronique constitutionnelle autorise, d'une
part, à tracer à grands traits les évolutions de ce concept, et d'autre part, à comprendre
ce que juristes et politiciens entendent mettre derrière, en le restituant dans la complexité
de son historicité. Le gouvernement de fait est tributaire de son contexte politique
et juridique. Il ne s'incarne donc pas en substance, mais constitue plutôt une forme
historique prise par le développement juridique d'un certain pouvoir dans l'État, pour
répondre à un besoin qui consiste à servir d'argument ou de clef de lecture à des
situations de crise. Dès lors, la méthode historique et l'analyse de l'histoire du droit,
des institutions et de la pensée politique paraissent nécessaires pour comprendre le
fonctionnement et les réalisations des gouvernements de fait. Mais elle doit être abordée
de manière fonctionnelle, non pour déceler une essence du contexte, mais pour en
faire ressortir l'utilité qu'il(s) a (ont) pu avoir dans la compréhension du droit et des
institutions postérieures aux transitions constitutionnelles, dont les institutions actuelles
sont en grande partie le résultat.
38. Il devient alors possible de dégager de l'usage du gouvernement de fait une
typologie qui lui est propre. La catégorie qu'il constitue au sein de la théorie des gouvernements
(ce n'est pas un gouvernement légal, mais il constitue tout de même un
mode d'exercice du pouvoir de l'État) se subdivise en plusieurs types82. On trouve
des gouvernements révolutionnaires ou de restauration, des gouvernements provisoires
ou d'expédition des affaires courantes, des gouvernements en exil ou encore des
gouvernements de fait locaux. Indépendamment du qualificatif dont ils s'affublent
eux-mêmes, c'est au travers de l'étude de leur discours qu'il est possible de confectionner
des catégories. Une telle classification ne résout cependant pas tous les problèmes
posés par les transitions constitutionnelles. Certains gouvernements se laissent
difficilement saisir, tels ceux issus des Assemblées constituantes83, ou encore ceux
82. Pour reprendre les postulats établis par Charles Eisenmann dans un article consacré aux classifications,
une fois dégagés les principes de la classification - les notions des classes et leur système - on peut
ensuite s'intéresser au contenu de la classe et au régime juridique qui lui est alloué (C. EISENMANN, « Essai
d'une classification théorique des formes politiques », Politique. Revue internationale des idées, des institutions
et de la vie politique, t. 11/41-44, 1968, p. 9 et p. 14).
83. Les gouvernements de mai 1848 ou de février 1871, par exemple, sont assez peu souvent abordés
comme des gouvernements de fait. Cela tient à ce qu'ils rattachent leur légitimité à celle de l'Assemblée
élue dont ils sont issus et qui leur permet, sur le plan du discours juridique, d'apparaître convaincants.

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