Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 170 - Le gouvernement de fait de la Révolution à la Libération - 385

JUGER LES HOMMES
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pas eu le monopole de la justice d'exception, le GPRF aussi y a eu abondement
recours171, confirmant ainsi la propension de l'autorité sans titre à user - parfois abuser
- de ce procédé de jonction entre l'ancien et le nouvel ordre juridique172. Une
série de procès pour atteinte à la sûreté de l'État et haute trahison a donc lieu, peutêtre
moins dans l'objectif de renforcer la légitimité de la restauration républicaine que
dans le but d'une expiation politique des abus commis durant l'occupation (l'une de
ces démarches n'excluant toutefois pas l'autre). À ce titre, ces procès semblent répondre
à l'impératif de purger la société de ses éléments néfastes (1). On peut toutefois
s'interroger sur l'anachronisme d'une telle démarche, qui apparaît peut-être dépassée,
voire inefficace, au regard du droit constitutionnel contemporain, pour effacer les stigmates
du gouvernement jugé illégitime (2).
1. Purger la société de ses éléments jugés néfastes
623. En 1945, une série de procès sont instruits pour juger des anciens dignitaires
ou partisans exaltés du régime de Vichy, considérés responsables des maux de la France et
deserrancesde l'État depuis 1940. Des figures de premier plan, comme Pétain ou Laval,
sont traduites devant la Haute Cour de justice, créée spécialement par le général de Gaulle
par une ordonnance du 18 novembre 1944 pour juger « les personnes ayant participé [...]
àl'activité des gouvernements ou pseudo‑gouvernements qui ont eu leur siège dans le
territoire de la métropole depuis le 17juin 1940 [...] pour crimes ou délits commis dans
l'exercice ou à l'occasion de leurs fonctions »173. Le procès de Pétain débute le 23juillet
1945 et se termine le 15 août suivant par sa condamnation à mort et à l'indignité nationale
qui le prive de ses droits civils et de ses grades militaires. L'ancien maréchal dégradé voit
toutefois sa peine capitale commuée par de Gaulle en réclusion à perpétuité le 17 septembre
1945. Laval, quant à lui, est jugé à partir du 4 octobre de la même année. Ce procès,
dont l'instruction est écourtée au dernier moment174, reste notoire pour la cacophonie
judiciaire qui s'en dégage. Les règles de procédures ont été imparfaitement suivies175 et
les débats outrepassent souvent la bienséance176. Jusqu'àl'exécution de la sentence
171. Sur ce point : ibid., p. 107 et s.
172. On peut toutefois noter avec Alain Bancaud qu'à la différence de Vichy qui « commence avec le
droit commun et finit par créer des cours martiales, [...] la République connaît un processus inverse ». Elle
part, pour l'auteur, d'une utilisation de la justice d'exception pour se diriger progressivement vers moins
d'arbitraire, là où Vichy s'enfermait dans une multiplication des juridictions et du droit d'exception. V. en
ce sens : A. BANCAUD, Une exception ordinaire..., op. cit., p. 116.
173. JO, 19 novembre 1944, p. 1382‑1383. Cette juridiction d'exception, dotée de pouvoirs exorbitants
peut, en outre, prononcer des peines sans rapport avec la qualification des faits. Malgré les protestations
de l'ordre des avocats, le président de la Cour prétend de telles attributions conformes aux principes
fondamentaux du droit. Alain Bancaud remarque à ce sujet que pour exorbitantes que soient ces prérogatives,
elles demeurent dans la droite ligne de la justice politique telle qu'exercée en France jusqu'ici, depuis
au moins le procès des ministres de Charles X : A. BANCAUD, Une exception ordinaire..., op. cit., p. 111‑112.
Pour davantage de précision sur le procès Pétain et le fonctionnement de cette juridiction : J. JACKSON,
France on Trial. The Case ofMarshal Pétain, trad. M. ‑A. DEBÉRU, Le procès Pétain. Vichy face à ses
juges, Paris, Éditions du Seuil, 2024.
174. S. DENOIX DE SAINT‑MARC, Les grands procès du XX
e siècle, op. cit., p. 436‑437.
175. Ibid., p. 437.
176. Plusieurs incidents parsèment en effet les débats du procès Laval : jurés qui invectivent l'accusé en
lui promettant « douze balles dans la peau », insultes, mise en cause des juges qui exerçaient sous Vichy. Le
président de la Cour s'est même prononcé sur la culpabilité de Laval avant le rendu du jugement en regrettant
qu'il n'ait pas subi une procédure plus expéditive. Les anecdotes sont relevées par Alain Bancaud qui note que
les «juridictions officielles ne contiennent pas toujours la violence des participants et résistent mal à la logique
sacrificielle quand les intérêts supérieurs de la raison d'État sont en jeu » : A. BANCAUD,« L'épuration judiciaire à
la libération : entre légalité et exception », Histoire de lajustice, t. 29, 2019, p. 241.

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