Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 170 - Le gouvernement de fait de la Révolution à la Libération - 390

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LE GOUVERNEMENT DE FAIT DE LA RÉVOLUTION À LA LIBÉRATION
pénale. Par la suite, l'affaissement du principe de légitimité politique qui fait peser sur
le gouvernant de fait une responsabilité pénale renverse la logique. Participer au gouvernement
de fait, c'est empêcher que l'État ne s'effondre, c'est éviter la vacance du
pouvoir, donc, c'est prévenir « l'anarchie »199. Il est logique alors que la responsabilité
pénale des faits d'insurrection se déporte pour viser non plus le gouvernant de
facto, mais celui qui s'oppose à lui, le séditieux. Cela implique néanmoins que l'autorité
sans titre triomphe, sans quoi, elle tombe elle‑même dans la catégorie de la
sédition, comme le montre bien le cas de la Commune de Paris. En contrepartie, il
semble peser sur ses membres une responsabilité d'ordre politique, mais dont les
contours sont incertains.
631. Qu'elle ait été appliquée au gouvernement de fait, ou à ceux qui s'y opposaient,
la responsabilité pénale a tout de même joué un rôle de « catharsis
collective »200. Cette fonction de la justice met en lumière le gouvernement de fait
non comme un objet froid et inerte d'analyse, mais comme faisant partie d'un processus.
La transition constitutionnelle ne se termine pas forcément au moment du passage
du gouvernement de fait à celui de droit, même après le retour de la situation constitutionnelle
« normale », il reste des résidus de cette transition, sous forme de sédiments
juridiques. Ce sont les procès qui peuvent s'éterniser ou être expéditifs, mais
qui laissent toujours des traces sur le régime. Les tribunaux doivent alors faire face à
une mission qui n'est pas seulement judiciaire et répressive, mais aussi préventive et
réparatrice201. Cela fait écho, dans une certaine mesure aux difficultés se posant à une
«justice transitionnelle », selon la notion forgée au XX
e siècle, c'est-à-dire savoir comment
organiser efficacement, et sous quelle forme, un « processus de transition vers le
droit »202. Juger la responsabilité des gouvernants de fait ou de ceux qui se sont opposés
à eux revient à lutter contre la réitération des troubles dans le futur, mais aussi à
tendre vers une réunification du corps politique. C'est pourquoi, pour parfaire cet
objectif et essayer de définitivement refermer le chapitre de la transition constitutionnelle,
le législateur s'emploie quasi systématiquement à promulguer des amnisties. En
ce qu'elle vise la clémence, le pardon et l'oubli203,l'amnistie prétend produire
l'union, promouvoir la continuité et jeter un voile sur la rupture. Cela explique par
ailleurs que des gouvernements de fait y aient eux‑mêmes eu recours, tel le gouvernement
de la Défense nationale204. On peut néanmoins se demander si le volontarisme
et l'optimisme dont elle procède, notamment des exemples que fournissent les procès
de Riom et de la collaboration, n'apparaissent pas anachroniques depuis la seconde
199. Au sens d'une désorganisation totale de l'État, selon un argument récurrent soulevé par les
acteurs : Cf. Partie I - Titre II - Chapitre 2, nº 324, note 895.
200. Selon le terme de Pierre Rosanvallon : P. ROSANVALLON, Le bon gouvernement, Paris, Éditions du
Seuil, 2015 (Points Essais), p. 267.
201. Ce point s'inspire, mutatis mutandis et toutes précautions gardées, de la thèse de Kelly Picard,
dans laquelle elle identifie une justice transitionnelle (les « mécanismes, judiciaires et non-judiciaires, cherchant
à rendre la justice à la suite de périodes de grande violence ») dont les missions varient et sont autant
préventives que réparatrices (ou « restauratives ») : K. PICARD, La responsabilité de l'État dufait du préjudice
historique..., op. cit., notamment p. 19 et p. 281.
202. L. JOINET, « Face aux dilemmes de l'instauration des processus de justice transitionnelle », Mouvements,
t. 53, 2008, p. 48. V. aussi : S. LE GAL, « Justice transitionnelle et état d'exception L'exemple de
l'État de siège (1791‑an V) », Histoire de lajustice, t. 32, 2021, p. 156‑157 et p. 163 et s.
203. Ibid., p. 12.
204. L'un des tout premiers actes du gouvernement de la Défense nationale est de publier un décret
amnistiant « tous les condamnés pour crimes et délits politiques et pour les délits de presse depuis le
3 décembre 1852 jusqu'au 3 septembre 1870 » (JO, 5 septembre 1870, p. 1525).

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