Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 170 - Le gouvernement de fait de la Révolution à la Libération - 66

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LE GOUVERNEMENT DE FAIT DE LA RÉVOLUTION À LA LIBÉRATION
l'affaiblissement du principe monarchique, c'est le critère même de la légitimité politique
comme fondement du titre à gouverner qui est remis en cause.
96. Les affaires soulevées devant les tribunaux portent d'ailleurs la marque de
ces changements et de cet affaiblissement du principe de légitimité politique, ainsi que
la quasi‑légalité qui peut être parfois reconnue au gouvernement de fait. Le procureur
général près la Cour de cassation, André Dupin (dit Dupin aîné), prend la mesure de
ce désaveu de la légitimité dans ses conclusions sur l'arrêt Procureur général
c. Baudoin du 14janvier 183381.Enl'espèce, est en cause le refus délibéré d'un
magistrat légitimiste de ne voir dans le gouvernement de Louis‑Philippe autre chose
qu'un gouvernement de fait, sous prétexte qu'il serait illégitime. Baudoin, conseiller à
la Cour d'appel de Rennes, avait signé une adresse manifestant ses obédiences légitimistes
dans laquelle il protestait contre l'arrestation de la duchesse de Berry,
Marie‑Caroline de Bourbon‑Sicile82. Au surplus de la condamnation du parjure
qu'aurait ainsi commis le sieur Baudoin, le procureur général critique l'idéologie qui
sous-tend son raisonnement : Louis-Philippe ne serait qu'un usurpateur ne pouvant
prétendre à l'obéissance de ses lois et au respect des serments qu'on lui prête. Pour
Dupin, comme pour la Cour, il est clair qu'il s'agit ici d'une vision surannée de la
légitimité du gouvernement83. Il convient, juridiquement comme politiquement, de
ne lui prêter aucune foi84. La jurisprudence de la Cour de cassation évolue assez logiquement
en ce sens et c'est peut-être ce qui explique que dans un arrêt du 16 mars
1841, Péraldi c. Ponte85, elle reconnaisse le gouvernement de fait local qui a régi la
Corse durant la sécession de 1794 comme étant doté de certaines prérogatives juridiques
quand bien même il n'est pas le « souverain légitime ». Un tel gouvernement
aurait pu être purement et simplement relégué au rang de l'usurpation. Pourtant, la
Cour affirme que le conseil général a été « chargé de la simple administration à une
époque où il n'existait encore en Corse aucun gouvernement régulier »86 ; à ce titre, il
n'avait pas les prérogatives étendues d'un gouvernement légitime, mais pouvait tout
de même être à l'origine d'une « mesure administrative provisoire, n'ayant et ne pouvant
avoir les caractères d'un acte législatif»87.C'est reconnaître le gouvernement de
fait a minima, dans son existence comme ses effets.
81. Cour de cassation, Chambres réunies, 14janvier 1833 Le procureur général c. Baudoin (S. 1833,
I, p. 566 et s.).
82. L'arrestation de la duchesse s'inscrit dans le cadre du complot légitimiste fomenté par elle et de la
tentative d'insurrection royaliste du printemps 1832 qui en découle. Le gouvernement de la Monarchie
de Juillet, avant de se stabiliser, est alors en difficulté et prête le flanc à l'exaspération des républicains
sur sa gauche et à l'insatisfaction des légitimistes sur sa droite. Pour plus de détails, v. D. BARJOT,
J.-P. CHALINE,A. ENCREVÉ, La France au XIX
e siècle. 1814-1914, Paris, PUF, 1995, p. 197.
83. S. 1833, I, p. 568. Dupin aîné s'exprime en ces termes : « [p]our nous, la révolution de Juillet
n'est pas un gouvernement de fait ; c'est un gouvernement de droit. Sa légitimité ne saurait être contestée ;
elle a pour base le vœu national, le consentement énergique du peuple magnanime qui, après avoir vaincu
Charles X et l'avoir conduit hors de France avec tous les siens [...] a reporté ses acclamations victorieuses
sur Louis-Philippe, et l'a salué du titre de roi des français ».
84. La position de Dupin sur le sujet est claire et il la rappelle dans son ouvrage Profession d'avocat :
pour lui, le gouvernement constitutionnel « est éminemment le gouvernement du droit. Le mot Légitimité
dans toute sa puissance n'a pas d'autre sens. L'ordre légal peut être raillé par les factieux ; il sera toujours
ce qu'il y a de plus saint et de plus respectable à nos yeux » (A. DUPIN, Profession d'avocat, t. I, Paris, AlexGobelet,
B.Warée aîné, 1832, p. 17, souligné par l'auteur).
85. S. 1841, I, p. 505.
86. S. 1841, I, p. 509.
87. Ibid. La jurisprudence semble évoluer dans son appréciation des gouvernements de fait, mais
reste encore assez timide. Elle reconnaît une capacité juridique (moindre) à l'autorité qui n'est pas un
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