Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 170 - Le gouvernement de fait de la Révolution à la Libération - 72

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LE GOUVERNEMENT DE FAIT DE LA RÉVOLUTION À LA LIBÉRATION
conception institutionnelle change la perception de l'objet gouvernement defait : le considérer
comme un organe d'État, c'est accepter qu'il s'insère dans un État juridiquement
constitué et, par conséquent, qu'il n'en marque ni la fin ni le début. Il est simplement la
face visible de changements dans l'État112 et non de l'État, ou plus exactement de transitions
constitutionnelles113. Il devient apte à donner corps au pouvoir organisé pour le fonctionnement
de l'institution étatique, il lui permet d'en être la force agissante. En tant qu'organe
de l'État, il exprime sa volonté, il agit en son nom et pour son compte114.
103. Le principal écueil théorique consiste en ce que l'organe d'État n'est envisagé
la plupart du temps qu'en tant qu'autorité constituée au sein de l'institution. Ainsi, selon
Léon Duguit, la théorie de l'organe n'adecohérence qu'une fois l'État constitué car elle
ne permet pas d'établir l'organe véritablement premier dont procèdent les organes
secondaires115. Par extension, elle ne permettrait donc ni de rendre compte du moment
constituant, ni des instants propices à l'action des gouvernements de fait116.Pourtant,
comme le souligne Georges Burdeau, il n'est pas impossible de contourner cette
difficulté117. Cequi conduit à cette aporiedelathéorie de l'organe, explique l'auteur,
112. Georges Burdeau range d'ailleurs un pan important de ses études sur les gouvernements de fait
dans la partie consacrée au pouvoir dans l'État de son Traité de science politique :G. BURDEAU, Traité de
science politique,t. IV, op. cit., p. 569 et s. De même, Scipione Gemma considère que le gouvernement, a
fortiori le gouvernement de fait, est « quelque chose qui fait partie de l'État, qui est dans l'État, mais qui
n'est pas l'État » : S. GEMMA, « Les gouvernements de fait », loc. cit., p. 297.
113. À l'exception du cas du gouvernement de fait qui recherche la sécession, mais dans ce cas, un
tel gouvernement agit dans l'État jusqu'à ladite sécession (cf. Partie I - Titre II - Chapitre 1, nº 296) ; l'autorité
qui en découle en cas de réussite de ses prétentions est un gouvernement de l'État nouvellement
constitué. Si bien qu'un gouvernement - dans le cadre étatique - agit toujours pour ou au sein d'un État
et non en dehors.
114. La théorie de l'organe d'État remonte à la doctrine allemande du XIX
e siècle et du début du
XXe siècle, principalement sous la plume d'Otto von Gierke puis de Georg Jellinek (G. JELLINEK, Das
Recht des modernen Staates. Erster Band : Allgemeine Staatslehre, trad. G. FARDIS, L'État moderne et son
droit. Deuxième partie. Théoriejuridique de l'État, Paris, V. Giard & E. Brière, 1913, p. 219 et s.). Elle est
popularisée en France notamment par L. MICHOUD, La théorie de la personnalité morale et son application
au droitfrançais, Paris, LGDJ, 1932 [pour la 3e
éd., la première datant de 1906], p. 133 et s. et R. CARRÉ DE
MALBERG, Contribution... t. II, op. cit., p. 281 et s. Sans aller jusqu'à reproduire l'ensemble des diverses
conceptions et leurs implications, on peut retenir que sous le terme d'organe d'État, il s'agit de considérer
le gouvernement comme revêtu d'une compétence qui le rattache directement à l'État et lui confère une
autorité, qui procure à ses décisions la valeur juridique de décisions étatiques. Il exprime (ou forme, selon
la conception française) la volonté propre de l'État, ce qui lui permet d'user, en son nom et pour son
compte, de la puissance publique. En ce qui concerne les distinctions entre les conceptions françaises et
allemandes : v. G. BURDEAU, Traité de science politique,t. IV, op. cit., p. 155 et s.
115. L. DUGUIT, Traité de droit constitutionnel, t. II, Paris, Éditions de Boccard, 1928, p. 20-21 et
p. 573 et s. ; v. aussi : G. BURDEAU, Traité de science politique,t. IV, op. cit., p. 157 et s.
116. C'est pourquoi Raymond Carré de Malberg rejette le phénomène des gouvernements de fait hors
du champ de l'étude juridique. Pour le Professeur de Strasbourg, tous les changements constitutionnels
opérés en dehors des dispositions fixées par la constitution sont des « procédés constituants d'ordre extrajuridique
» qui ne peuvent se ramener qu'à des questions de fait : R. CARRÉ DEMALBERG, Contribution...,
t. II, op. cit., p. 495-497. Léon Michoud, quant à lui, tente de répondre aux objections de Duguit, alléguant
que « [l]'organe est considéré comme faisant partie essentielle de la personne morale ; il n'est pas créé par
elle, il est créé en même temps qu'elle par les forces sociales qui ont produit sa naissance et en même temps
déterminé sa constitution. Elle n'a existé juridiquement qu'au moment où elle a eu des organes »
(L. DUGUIT, Traité de droit constitutionnel, t. II, op. cit, p. 574-575 ; v. aussi : L. MICHOUD, La théorie de la
personnalité morale..., t. I, op. cit., p. 138). Or, là encore, cela ne résout pas la question de la volonté originelle
de création de l'organe, selon Duguit.
117. Cela est d'autant plus nécessaire que la théorie de l'organe permet de fonder l'autorité des gouvernants
non pas uniquement sur une explication sociologique reposant sur la force, mais également sur des
considérations juridiques : G. BURDEAU, Traité de science politique,t. IV, op. cit., p. 157 note 168.
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