Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 170 - Le gouvernement de fait de la Révolution à la Libération - 73

ILLÉGALITÉ CONSTITUTIONNELLE
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c'est l'assimilation substantielle de la nation et de l'État qui implique, dans la conception
française tout du moins, le rattachement substantiel de la théorie de l'organe à celle de la
personnalité collective, en l'occurrence celle de la nation118. Or, prenant appui sur ses distinctions
entre État et collectivité nationale et entre souveraineté et puissance de l'État,
Burdeau propose de rompre l'unité entre la personne juridique et l'organe qui exprime sa
volonté ; partant, il fait du gouvernement l'organe support de la volonté du pouvoir étatique
(et non de la nation)119. Bien que vis-à-vis des gouvernements de fait, les développements
de Burdeau ne soient pas exempts d'ambiguïtés120, ce point permet de comprendre
ce qui incite à considérer le gouvernement de fait comme un organe étatique : il est alors
considéré comme doté d'une volonté propre, capable d'engager l'État et de produire du
droit, c'est-à-dire que ses actes juridiques peuvent entraîner des conséquences sur la réalité
effective. En cela, le gouvernement de fait cristallise un rapport de domination entre gouvernants
et gouvernés qui permet de penser la continuité de l'État, entendu au sens
de Georg Jellinek pour qui « [l]'État défini d'une façon plus exacte consiste, dans les rapports
de volonté d'une multitude d'hommes. Des hommes qui commandent et d'autres qui
obéissent àces commandements, voilàce qui formelesubstratum del'État »121.
104. La conception de Jellinek ne fonctionne évidemment que si l'on s'abstient,
comme il le fait lui‑même, d'hypostasier l'État et que l'on considère ses éléments constitutifs
comme des fonctions et non des substances. Dès lors, il devient possible d'envisager
l'unité de l'État autour de rapports de volonté étatique, qui sont des rapports de
domination122. Ainsi, considérer le gouvernement de fait comme un organe de l'institution
étatique, c'est penser la domination de l'État - lorsque sa volonté est exprimée par
un organe dénué de titre à gouverner - comme un rapport juridique et non pas simplement
comme l'exercice d'une puissance (en dehors de tout lien de droit)123. Il est logique
que, progressivement, il soit apparu utile aux interprètes du droit - parlementaires, gouvernants
ou juristes - de se départir du principe de la légitimité politique comme criterium
ultime du gouvernement, pour sortir de l'impasse d'une dichotomie entre usurpation
et légitimité qui ne laissait pas de place au gouvernement sans titre, pourtant jugé
légitime à gouverner. En outre, un tel changement de perspective ne pouvait qu'être sous
l'influence des évolutions doctrinales de la notion d'État en France, qui tendent à lui
reconnaître la personnalité morale, à la fin du XIX
e siècle et au début du XX siècle124.
e
118. Ce qui implique, comme le soulignait déjà la critique de Duguit, de supposer une volonté à cette
personne qui rend impensable l'organe réellement originel et qui n'explique pas davantage d'où procède la
volonté initialement formée : ibid., p. 158.
119. Ibid., p. 159. La nation n'est cependant pas spoliée de tout moyen d'expression chez Burdeau,
puisque si l'organe d'État exprime la volonté du pouvoir étatique, il est le représentant de la nation. Il
n'assimile donc pas organe et représentation.
120. Ils induisent de considérer l'organe constituant originaire comme extérieur à l'État, en tant
qu'expression de la volonté de la nation (et non de l'État) : ibid., p. 160-161. Est‑ce à dire que toute entité
qui serait titulaire d'un pouvoir constituant prétendument originaire, comme cela peut être le cas pour le
gouvernement de fait, soit à rejeter en tant qu'organe de l'État ? Pourtant, Burdeau considère bien le gouvernement
de fait comme un organe étatique : ibid., p. 569 et s.
121. G. JELLINEK, L'État moderne et son droit. Première partie..., op. cit., p. 286.
122. ibid., p. 283 et s. et p. 291 et s.
123. Comme l'exprime Georges Burdeau, la puissance, si elle n'était pas rattachée à l'État, ne serait
que l'expression d'une « violence nue ». Le monopole étatique de celle-ci rend la légitime (à l'instar
de Max Weber, pour qui l'État bénéficie du monopole de la violence légitime) puisqu'il met la puissance
au service du Pouvoir institutionnalisé : G. BURDEAU, Traité de science politique, t. II, Paris, LGDJ, 1980,
p. 317 et s. ; v. encore : ibid., p. 104 et s.
124. G. BIGOT, « La théorie de l'État en France face à son histoire », loc. cit.,p. 12 et s. À l'exception
de Duguit qui se place dans la critique de cette vision de l'État doté de la personnalité morale. V. aussi :
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