Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 170 - Le gouvernement de fait de la Révolution à la Libération - 87

ILLÉGALITÉ CONSTITUTIONNELLE
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gouvernement sans titre, même politiquement ennemi, n'est pas renvoyé automatiquement
dans le non‑droit. Il sert d'assise pour expliquer, institutionnellement, une
vacance du pouvoir de droit et, partant, permet d'affirmer la continuité de l'État.
127. Or, une série de décisions du Conseil d'État relatives à la réparation des
dommages du fait de l'État en 1952 bouleverse cette interprétation : Époux Giraud le
4janvier190, puis, de manière plus nette, Demoiselle Remise le 25juillet191, consacrent
l'irresponsabilité de l'État du fait des agissements du régime de Vichy. En l'espèce,
dans la décision du 25 juillet, la demoiselle Remise souhaitait faire annuler la
décision implicite du ministre de l'Intérieur rejetant sa demande d'indemnité du fait
d'une blessure due à un coup de feu de la part d'un membre de la « milice française »
le 19juillet 1944. Pour le Conseil d'État, il n'est pas possible d'attacher une quelconque
responsabilité de l'État du fait des agissements du « groupement » que constitue
la milice, car la loi qui forme ce groupuscule est proclamée nulle par l'ordonnance
du 9 août 1944. Conséquence de cette nullité rétroactive par nature, la milice est privée
de base légale, donc réputée ne pas pouvoir être rattachée à l'administration française.
Il est alors implicitement entendu, de cette interprétation stricte de l'ordonnance
de 1944, que le gouvernement de Vichy n'était pas une autorité étatique. La décision
surprend d'autant plus que le Conseil d'État n'avait eu aucun problème jusque-là à
reconnaître la responsabilité et, par conséquent, le rattachement du gouvernement de
fait de Vichy à l'État français.
128. Dès lors, il est difficile de savoir si, à partir de 1952, le Conseil d'État avait
entendu en revenir à une identification du gouvernement de fait et de l'usurpation
- un retour à la conception politique en somme - ou au contraire s'il cherchait à
bien ancrer la dichotomie entre le gouvernement de fait (illégal mais légitime,
comme le GPRF) et l' « autorité de fait » (relevant de l'usurpation)192. Les deux interprétations
sont insatisfaisantes et guère étayées par les intentions du GPRF lors de la
restauration de la légalité républicaine. En effet, la notion de gouvernement de fait
était bien connue des hommes de la France libre et ne paraissait pas assimilée à celle
d'usurpation193, rendant assez probable la distinction de l'une et l'autre dans le langage
des acteurs de cette période. Est-ce pour autant qu'il y a eu une volonté concrétisée
de consacrer le régime de Vichy comme un gouvernement usurpateur, nul et non
avenu, jusque dans ses effets les plus drastiques et les autorités de la France libre
comme un gouvernement de fait valide quoique sans titre ? L'intention est assez
190. CE, Ass., 4janvier 1952, Époux Giraud (Rec. CE 1952, p. 14).
191. CE, Sect., 25 juillet 1952, Demoiselle Remise (Rec. CE 1952, p. 401).
192. D'autant plus que si la décision du 4janvier 1952, Époux Giraud est consignée notamment sous
la sentence « assignations à résidence prononcées par le gouvernement de fait » (Rec. CE, 1952, p. 14), dans
la jurisprudence postérieure ne subsiste que le syntagme hérité de l'ordonnance du 9juin 1944 d' « autorité
de fait se disant gouvernement de l'État français ».
193. En témoigne par exemple une lettre de Léon Blum adressée au Comité de libération nationale en
octobre 1942 : dans cette lettre, Blum dresse un bilan de la situation et de l'avenir qu'il entrevoit dans le
cadre d'une libération du territoire et souligne bien l'illégitimité du gouvernement de Vichy dont la disparition
ipsofacto ne souffre aucune contestation. Il ouvre alors la voie à une table rase : « [s]ur cette table, un
nouveau gouvernement de fait doit s'installer sans aucun délai. [...] La tâche et le mandat de ce gouvernement
sont d'ordre temporaire, intérimaire ». Il est ainsi certain que non seulement l'expression de gouvernement
de fait est connue et utilisée pour désigner un gouvernement intérimaire mais, de surcroît, elle vise
tout aussi bien un gouvernement légitime (celui qu'appelle Blum de ses vœux) qu'illégitime, puisque si un
nouveau gouvernement de fait doit se mettre en place, il présuppose qu'il en existait un ancien qu'il
convient de supplanter, celui de Vichy (C. DEGAULLE, Mémoires de guerre, t. II, Paris, Plon, 1956, p. 377).
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