Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 170 - Le gouvernement de fait de la Révolution à la Libération - 94

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LE GOUVERNEMENT DE FAIT DE LA RÉVOLUTION À LA LIBÉRATION
problème de l'absence de titre, pour éviter d'occulter totalement les périodes de transitions
constitutionnelles. Comme le dit Hauriou, l'intérêt de la légitimité n'est pas de
faire consacrer le pouvoir par une loi, « il s'agit de le mettre en relation avec les institutions
» ; le gouvernement provisoire « devient légitime indirectement quand il est
rattaché constitutionnellement, par des institutions gouvernementales, à l'institution
de l'État »232. Ainsi, sous couvert de rechercher des critères d'identification du gouvernement
de fait, la doctrine s'empare de ce concept pour rendre compte de l'architecture
constitutionnelle des régimes lors des transitions constitutionnelles ; c'est‑à‑dire,
sous l'apparente discontinuité, de la cohérence entre le principe de
légitimité auquel le gouvernement peut se rattacher et ses institutions politiques233.
Conclusion du Chapitre 1
136. Les mutations de la notion de gouvernement de fait en France s'inscrivent
dans une histoire plus large du positivisme juridique. D'abord assimilé à une usurpation,
il devient progressivement cet organe particulier de l'État, réduit à son absence
de titre constitutionnel, mais parfois considéré comme apte à assurer provisoirement
le gouvernement. Le passage d'une conception politique à une conception institutionnelle
(quoique les deux usages perdurent parallèlement) accompagne un changement
de perception au fondement du droit, de la norme juste à la norme positive. Le terme
de gouvernement de fait est alors de moins en moins employé à titre prescriptif, au
sens d'une injonction à un devoir être - ou ne pas être, une situation à éviter et à
rejeter - et davantage à titre descriptif, comme un fait accompli, dont il faut tirer le
meilleur profit en dépit d'une mauvaise fortune. Cette évolution conduit à une inversion
de la dynamique entre légalité et légitimité et, finalement, au primat de la première
sur la seconde. Le gouvernement n'étant alors plus défini essentiellement à
l'aune de sa légitimité politique, il devient possible de penser juridiquement l'autorité
illégale mais dotée de la capacité d'administrer provisoirement l'État. La légitimité
peut alors réinvestir l'espace laissé vacant du bien-fondé du pouvoir, dans une perspective
juridique qui se distingue de la légalité. Différencier ces deux formes de légitimité,
dont l'une serait exogène à l'ordre juridique, tandis que l'autre serait endogène,
permet d'éviter de faire du gouvernement de fait un objet juridique non
identifié, source d'incertitudes et d'insécurité juridique. Ce faisant, la légitimité juridique
permet de rechercher une explication à l'exercice du pouvoir en contournant les
dangers liés à la qualification d'usurpation, argument politique affublé des oripeaux
du droit. Elle incite également à envisager les tensions entre droit et politique inhérentes
aux transitions constitutionnelles dans une perspective dynamique et non pas
statique234. En ce sens, la légitimité juridique correspond davantage à un processus de
232. M. HAURIOU, Précis de droit constitutionnel, op. cit., p. 31-32.
233. Pour reprendre ici une expression d'Olivier Beaud à propos de la Ve
République : « la cohérence
république », L'architecture du
d'un régime tient à l'adéquation entre son principe de légitimité et ses institutions politiques, son architecture
constitutionnelle ». O. BEAUD, « À la recherche de la légitimité de la Ve
droit, Mélanges en l'honneur de Michel Troper, éd. D. DEBÉCHILLON,P. BRUNET, et alii, Paris, Economica,
2006, p. 154.
234. Pour reprendre une lecture dynamique du droit explicitée par Maurice Hauriou puis approfondie
par Georges Burdeau : Hauriou critique une assimilation de l'ordre objectif à l'ordre statique (il se place là
dans sa controverse avec Kelsen) qui subordonnerait alors le dynamique au statique : « [c]ela aboutit pratiquement
à l'arrêt du mouvement du droit ; or, le droit positif, qui se déroule dans le plan historique, est
essentiellement un droit en mouvement ». (M. HAURIOU, Précis de droit constitutionnel, op. cit.,p. 6)

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