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Les grandes décisions de la jurisprudence constitutionnelle
la magistrature qui modifie l'ordonnance du 22 décembre 1958 relative au
statut de la magistrature. Le texte sur lequel le Conseil se prononce comporte
différentes dispositions qui réservent à certains citoyens, en fonction de leur
religion et de leur département d'origine, l'accès à certaines professions.
À une exception près, les membres du Conseil estiment que le texte va à
l'encontre de l'article 2 de la Constitution qui dispose que la France « assure
l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race
ou de religion ».
12. Ils s'accordent pourtant largement pour ne pas le déclarer contraire
à la Constitution en raison des conséquences qu'aurait une telle décision
en pleine guerre d'Algérie, ainsi que, de façon peut- être plus marginale,
de la reconnaissance de la légitimité d'une certaine correction du système
colonial. En effet, si cela n'est pas au cœur des préoccupations des membres
du Conseil, force est en effet de reconnaître que, à moins de souscrire explicitement
ou implicitement à la hiérarchisation raciale sur laquelle elle était
fondée, la colonisation heurtait bien plus frontalement encore ce principe
d'égalité, longtemps confiné au territoire métropolitain1
. En effet, comme
l'explique Lionel Zevounou, depuis la période révolutionnaire, les grands
principes républicains, telle que l'égalité, sont intimement liés au territoire ;
ce qui se trouve au- delà est traité sous le registre de l'exception, permettant
la mise en œuvre de politiques d'assignations raciales2
.
13. La décision Magistrats musulmans est donc singulière. Il s'agit à
notre connaissance du cas où les membres du Conseil s'accordent le plus
clairement pour dire que certaines dispositions du texte qui lui est présenté
devraient, dans le cadre d'une analyse juridique, être déclarées inconstitutionnelles,
mais où ils s'entendent également pour décider que, pour des
raisons que l'on peut qualifier de politiques, nous y reviendrons, elles ne
devraient pas l'être. Ces deux impératifs contradictoires sont bien perçus
par les commentateurs contemporains. Comme le résume Léo Hamon dans
sa note : « Déclarer inconstitutionnelles les dispositions discriminatoires au
profit des musulmans c'était arrêter le nécessaire effort de correction des
inégalités qui n'avait que trop tardé. Mais comment reconnaître, à partir du
moment où la question était posée, la constitutionnalité de dispositions aussi
évidemment contraires aux principes de notre droit public ? »3
1. V. J.-P. Pastorel, « Le principe d'égalité en outre- mer », Les Nouveaux Cahiers du
Conseil constitutionnel, vol. 35, no
2, 2012, p. 73.
2. L. Zevounou, « Raisonner à partir du concept de " race " en droit français », in
L. Zevounou (dir.), Race et droit, IFJD, coll. « transition et justice », 2021, p. 87 et s.
3. L. Hamon, « CC 15 janvier 1960 », D., J., 1960, p. 293.

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