Bibliothèque de droit privé - Tome 653 - Recherche de la causalité et incertitudes scientifiques en droit de la responsabilité civile - 106

106
RECHERCHE DE LA CAUSALITÉ ET INCERTITUDES SCIENTIFIQUES
deux types d'antécédents au dommage : « d'une part, les antécédents antérieurs ou
concomitants à la faute, qui doivent tous entrer en ligne de compte, qu'ils aient pu
ou non être décelés à ce moment-là » et « d'autre part, les antécédents postérieurs
à la faute, qu'il ne faut retenir que le lorsque leur apparition pouvait ou devait être
attendue »142
. Rümelin refusait donc que soient pris en compte seulement les antécédents
que connaissait ou pouvait connaître l'agent : les conditions antérieures à
la faute devaient toutes êtes prises en compte, même s'il était impossible d'en avoir
connaissance au moment de la commission du fait générateur de responsabilité. Il
estimait que « [p]armi les conditions antérieures ou concomitantes à la faute, le
juge d[evait] donc retenir non seulement celles qui étaient connaissables au moment
de son acte, mais celles qui, inconnues alors se sont révélées par la suite, peut-être
par l'apparition de leur résultat »143
ainsi de « remont[er] dans le passé »144
ment causé le dommage145
. Le pronostic objectif rétrospectif permettait
pour retrouver la condition ayant objective.
Par ailleurs, les conditions postérieures à la faute
devaient être prises en compte indépendamment de la connaissance de l'auteur, si
elles étaient « déjà contenues en germes dans les circonstances contemporaines de
l'acte »146
: selon l'exemple de Florence G'Sell-Macrez, si une victime d'un accident
est conduite à l'hôpital et fait l'objet d'une erreur médicale, la conception de Rümelin
conduit à se demander « l'accident augmentait-il la probabilité du dommage
final, sachant que la victime allait être victime d'une erreur médicale ? »147
Certains
auteurs reprochent à la théorie de Rümelin son potentiel causal trop étendu :
André Joly note que le pronostic objectif rétrospectif pourrait aboutir aux mêmes
résultats que la théorie de l'équivalence des conditions, puisque toutes les conditions
du résultat doivent être prises en compte au moment du jugement, dès lors
qu'elles sont antérieures ou concomitantes à la faute148
. La tentative de sortir de
cette impasse par Rümelin en opérant la distinction entre antécédents antérieurs
permet de compter sur l'apparition d'une conséquence semblable à celle qui s'est produite. » V. aussi
A. Joly, op. cit., p. 125, n° 41 : « Les autres partisans de la causalité adéquate procédaient à un examen
par avance, ex ante, en se plaçant dans la situation de l'auteur ; Rümelin propose un examen ex post,
a posteriori, il considère la situation de l'auteur, mais en se plaçant au jour du jugement, et il se livre à
un " pronostic objectif rétrospectif " . Le critère prend alors un tour plus nettement objectif et paraît
s'affranchir de la notion de prévision de l'auteur, puisqu'il n'est plus seulement fait état des conditions
que l'agent connaissait ou pouvait connaître. »
142. J. Favier, op. cit., p. 304. François Chabas remarque que Rümelin s'exprime « de façon assez
obscure » par rapport aux conditions postérieures à l'acte de l'agent : lorsqu'elles étaient imprévisibles
« par l'agent », elles ne doivent pas être prises en compte (v. F. Chabas, op. cit., p. 88-89, n° 110). Cette
règle rejoint selon nous l'exigence d'un lien direct entre le dommage et les préjudices susceptibles d'en
résulter, dont l'application pratique consiste à effectuer une recherche de prévisibilité. Toujours est-il
que la théorie de Rümelin est sujette à confusion : les conditions antérieures à l'acte sont examinées de
façon objective selon un savoir quasi-universel, tandis que l'élément subjectif de ce qui pouvait être
prévu par l'agent lui-même est réintroduit au stade de l'examen des conditions postérieures à son acte.
143. F. Chabas, op. cit., p. 89, n° 110.
144. P. Marteau, op. cit., p. 111.
145. Par exemple, la prédisposition d'une victime n'empêche pas de reconnaître le geste à son
encontre comme causal - même si ce geste est très léger - puisque la fragilité doit être prise en compte
rétrospectivement dans l'appréciation de l'adéquation de la cause, indépendamment de sa connaissance
effective par l'auteur. V. aussi l'exemple donné par F. G'Sell-Macrez, op. cit., p. 115, n° 100 :
« Il suffit que ces conditions soient connaissables au moment où le juge statue. Ainsi, la fragilité de la
victime d'un choc anesthésique, même inconnaissable, est à prendre en compte. Donc l'anesthésie est
bien cause adéquate du dommage. »
146. F. G'Sell-Macrez, op. cit., p. 116, n° 100.
147. Ibid.
148. A. Joly, op. cit., p. 125 et s., n° 41. V. aussi F. G'Sell-Macrez, op. cit., p. 115, n° 100.
Bibliothèque de droit privé - Tome 653 - Recherche de la causalité et incertitudes scientifiques en droit de la responsabilité civile

Table des matières de la publication Bibliothèque de droit privé - Tome 653 - Recherche de la causalité et incertitudes scientifiques en droit de la responsabilité civile
