Bibliothèque de droit privé - Tome 653 - Recherche de la causalité et incertitudes scientifiques en droit de la responsabilité civile - 383

LA DÉLIMITATION DE L'INCERTITUDE
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due à la faute de la victime ne présentant pas les caractères de la force majeure
s'applique indifféremment selon que le fait générateur commis par le défendeur soit
une faute ou soit fondé sur un régime de responsabilité objective205
.
639. Causalité alternative entre plusieurs faits générateurs de responsabilité et
une faute de la victime ne présentant pas les caractères de la force majeure. On peut
imaginer un cas de causalité alternative entre plusieurs faits générateurs de responsabilité
commis par plusieurs défendeurs, et une faute de la victime : on ne
saurait pas, parmi le groupe incluant à la fois les défendeurs et la victime, lequel
ou lesquels d'entre eux auraient véritablement causé le dommage. Le dommage
pourrait avoir été causé par l'un des défendeurs seul, par plusieurs des défendeurs,
par la victime seule, ou par certains des défendeurs et la victime.
640. Imaginons qu'un produit défectueux soit commercialisé par plusieurs
défendeurs sous des appellations variées, et que la victime ingère l'un de ces produits
sans savoir exactement lequel, et en ne respectant pas les doses prescrites par
son médecin. L'exposition aux produits défectueux, ainsi que le surdosage par la
victime, obéissent à des lois de causalité matérielle générale probabilistes. Il pourrait
être impossible de connaître l'origine exacte du dommage : l'exposition par un seul
des producteurs, l'auto-exposition par la victime du fait de son irrespect des instructions
ou la combinaison entre le défaut de l'un des produits et le surdosage206
. Ce
dernier cas ne s'est pas présenté en ces termes dans la jurisprudence française, mais
nous supposons là aussi que le montant de l'obligation à la dette serait réduit de
façon à prendre en compte la commission d'une faute par la victime.
205. A. Dumery, op. cit., p. 161, n° 345. Notons que le projet de réforme de la responsabilité
civile du 13 mars 2017 prévoit toutefois en son article 1254 (repris par la Proposition de loi du Sénat
du 29 juillet 2020 portant réforme de la responsabilité civile) de supprimer l'effet exonératoire partiel de
la faute de la victime lorsqu'elle subit un dommage corporel, sauf s'il s'agit d'une faute lourde. V. à ce
sujet : T. Génicon, op. cit. Sur l'étendue de l'exonération du défendeur en présence d'une faute de la
victime, v. M. Bacache, op. cit., p. 730 et s., n° 571 et G. Viney, P. Jourdain, S. Carval, op. cit., p. 407,
n° 432 : en matière de responsabilité pour faute, le montant de l'exonération est fonction de la gravité
respective des fautes commises par le défendeur et par la victime ou fonction du rôle causal de chacune
de leur faute, tout comme pour le partage de la contribution à la dette en matière de responsabilité
collective (v. infra, n° 644). En ce qui concerne la responsabilité sans faute, le défendeur ne peut obtenir
une exonération totale fondée sur la faute de la victime, en dépit du fait que dans un cas de responsabilité
collective entre coauteurs tenus par un régime de responsabilité objective et coauteurs tenus
par la responsabilité pour faute les premiers peuvent effectuer un recours contributif pour la totalité
du montant de la dette envers les seconds (v. infra, n° 644). Le montant de l'exonération partielle est
alors déterminé souverainement par les juridictions du fond, souvent en fonction des rôles causaux
tenus respectivement par le fait générateur de responsabilité sans faute et par la faute de la victime.
206. Se pose toutefois la question de la possibilité de considérer l'irrespect de la posologie d'un
médicament comme fautif. Il est permis d'en douter puisque la jurisprudence de la Cour de cassation
est hostile à considérer le refus d'un traitement médical comme une faute. V. par exemple : Cass. 2e
civ.,
19 juin 2003, n° 01-13289, Bull. civ., II, n° 203, p. 171, JCP éd. G., 2003, II, 10170, note C. CastetsRenard
; D., 2003, p. 2326, note J.-P. Chazal ; RTD civ., 2003, p. 716, obs. P. Jourdain ; D., 2003,
p. 1346, obs. D. Mazeaud ; JCP éd. G., 2004, I, chron. 101, n° 9 et s. obs. G. Viney et v. sur cet arrêt
A. Duméry, op. cit., p. 360 et s., n° 384 et s. : la Cour de cassation refusa de considérer que la victime
avait « l'obligation de se soumettre aux actes médicaux préconisés par ses médecins ». L'excès dans la
prise de médicaments pourrait être considéré comme le comportement parallèlement inverse au refus
de traitement, et à ce titre la qualification de faute pourrait être exclue, sur le fondement du respect du
droit à l'intégrité corporelle, lequel implique une libre maitrise dans la façon de chacun de se soigner.
Certains auteurs se prononcent toutefois dans le sens de la reconnaissance d'une faute : « Le mésusage
du produit constitue [...] en règle générale une faute de l'utilisateur, qui exonère le producteur pharmaceutique
de sa responsabilité » (J.-S. Borghetti, La responsabilité du fait des produits, op. cit.,
p. 374, n° 378).
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