Bibliothèque de droit privé - Tome 653 - Recherche de la causalité et incertitudes scientifiques en droit de la responsabilité civile - 51

UNE DÉTERMINATION COMPLEXE DE LA CAUSALITÉ EN DROIT FRANÇAIS
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en ce qu'elle participe à la détermination de qui doit endosser le fardeau de la
responsabilité40
. En effet, la causalité juridique répond à l'impératif de faire un tri
entre l'ensemble des antécédents au dommage, et de trouver la façon dont doit
être opérée cette sélection41
.
47. Contenu de la causalité juridique. La causalité juridique doit donc obligatoirement
rattacher un fait générateur de responsabilité à un dommage. En dehors
de cette exigence, on peut se questionner sur son contenu exact : est-ce que dès
lors qu'un fait générateur de responsabilité se trouve être une cause matérielle du
dommage, la causalité juridique doit être automatiquement reconnue ? Y a-t-il
une dépendance de la causalité juridique par rapport à la causalité matérielle, où
d'autres éléments peuvent-ils être pris en compte pour sa détermination ? La définition
de la causalité juridique se limite-t-elle à la décision juridique sur la causalité
? Deux possibilités semblent s'opposer : soit la causalité juridique est une
coquille vide, ne pouvant être alimentée que par la causalité matérielle, de sorte
qu'elle se limite à entériner une situation de fait ; soit elle est un concept juridique
autonome du fait, non équivalent à la causalité matérielle d'un fait générateur de
responsabilité. Une analyse se situant à mi-chemin entre ces deux conceptions
devrait être privilégiée. En effet, la causalité juridique ne peut pas s'inscrire en
contradiction frontale vis-à-vis de la réalité matérielle des faits, sauf à faire perdre
en crédibilité et en légitimité la décision juridique. La causalité matérielle doit
donc être considérée dans la détermination de la causalité juridique. Mais d'autres
facteurs que l'enchaînement matériel des évènements sont souvent aussi pris en
compte par les juges pour retenir ou exclure la causalité juridique. Ainsi, cette
dernière peut « être autre chose qu'un avatar de la causalité tout court »42
. Nous
verrons que l'appréciation d'autres éléments que la causalité matérielle est rarement
opérée explicitement, ce qui rend très difficile une définition précise de la
causalité juridique43
pour influencer le jugement de responsabilité44
, et ce qui donne l'opportunité aux juges de l'instrumentaliser
. Toujours est-il qu'il peut arriver
que la causalité juridique ne soit pas reconnue en présence d'une causalité matérielle
avérée. Lorsque la causalité matérielle fait clairement défaut, il est plus difficilement
admissible que le juge reconnaisse la causalité juridique sans qu'on ne
lui fasse le reproche de s'inscrire en porte-à-faux vis-à-vis de la réalité45
. Mais
40. V. Ph. Brun, « Causalité juridique et causalité scientifique », in Les distorsions du lien de
causalité, Actes du colloque des 15 et 16 décembre 2006, Faculté de Droit et de Science Politique de
Rennes, RLDC, 2007, p. 15, spéc. p. 17 : la causalité juridique a « vocation, non pas à observer béatement
l'enchainement des occurrences qui conduisent à un dommage (le juriste n'est pas un contemplatif),
mais à désigner ceux qui doivent en répondre. »
41. M. Bacache-Gibeili, op.cit., p. 619, n° 489. L'auteur s'interroge à propos de la causalité
juridique : « Tout événement sans lequel le dommage ne se serait pas produit en est-il la cause juridique
ou convient-il de procéder parmi toutes ces causes matérielles à une sélection ? »
42. Ph. Brun, « Causalité juridique et causalité scientifique », op. cit., p. 15.
43. Pour cette raison, il arrive que l'on « exhort[e] à l'élaboration d'une théorie réellement juridique
de la causalité, mais sans nécessairement posséder la notice d'utilisation ! » (Ph. Brun, « Causalité
juridique et causalité scientifique », op. cit., p. 15).
44. Ce qui explique que la causalité juridique soit aussi décrite comme « un outil flexible ajustable
en équité » (Ph. Brun, « Causalité juridique et causalité scientifique », op. cit., p. 15). Nous verrons
que la présence d'une faute, la capacité des défendeurs à faire face au coût du dommage ainsi que
la hiérarchisation entre la protection des intérêts sont des éléments pris en compte implicitement par
la jurisprudence au cours de la détermination de la causalité juridique : v. infra, n° 83 et s.
45. Même si, « [a]près tout, ce n'est pas d'hier que l'ordre juridique s'est avisé de malmener le
fait. » (Ph. Brun, « Causalité juridique et causalité scientifique », op. cit., p. 18.)

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