Bibliothèque de droit privé - Tome 654 - Méthodes du droit transitoire en matière civile - 143

LE TRAITEMENT PRAGMATIQUE DU REVIREMENT DE JURISPRUDENCE
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L'article 2 du Code civil, porteur du principe de non-rétroactivité de la loi,
pouvait-il s'y étendre ? Si ce texte a bien permis des analogies en d'autres matières6
.
,
la réponse doit être négative dans le cas du revirement de juris prudence, cette
dernière étant rétroactive non par volonté mais par nature7
Les interprétations du texte portant ce principe étant pensées pour le conflit
de lois, elles ne parviennent pas à offrir une méthode permettant de traiter le
problème de la rétroactivité du revirement de jurisprudence. Celui-ci se révèle à
la fois incompatible avec la théorie de l'effet immédiat (A) et avec celle des droits
acquis (B).
A. INCOMPATIBILITÉ AVEC LA THÉORIE DE L'EFFET IMMÉDIAT
151. Revirement de jurisprudence et théorie de l'effet immédiat. La Cour de
cassation emploie le terme « application immédiate » pour désigner l'effet du revirement
de jurisprudence8
. Le premier réflexe qui accompagne la lecture de ces
termes est celui de se référer à la théorie de l'effet immédiat des lois nouvelles.
Pourtant, bien que reconnaissant des similitudes entre conflit de lois dans le
temps et revirement de jurisprudence, Roubier exclut la seconde du champ du
droit transitoire. Il serait en effet difficile sinon impossible de déterminer le
moment où la jurisprudence peut être dite « fixée »9
, un revirement véritable
étant alors tout aussi difficile à identifier.
Elle supposerait d'abord dans tous les cas l'identification au préalable d'une
période de stabilité : si le revirement de jurisprudence est une modification, encore
faudrait-il pouvoir identifier une continuité à interrompre. Cette interruption
n'est ensuite pas nécessairement uniforme10
.
Le revirement désignerait aussi bien le changement d'interprétation plus ou
moins conséquent, que l'abandon plus franc d'une solution passée. L'expression
porte bien sur de multiples figures de l'évolution jurisprudence qui, en raison de
cette diversité, ne sont pas nécessairement assimilables.
152. Problème : identification du revirement de jurisprudence. Identifier un
changement législatif ne présente aucune difficulté, en ce que le changement est
6. Par exemple, c'est bien l'article 2 du Code civil qui a servi de base à l'interdiction de la
rétroactivité en matière règlementaire, sans qu'il ne s'agisse pourtant d'une transposition pure et
simple : CE, ass., 25 juin 1948, Société du journal l'Aurore, Recueil Lebon, n° 289 ; Gaz. Pal., 1948,
n° 2, p. 7, concl. LETOURNEUR ; S., 1948. 3. 69, concl. ; D., 1948. 437, note M. WALINE ; JCP,
1948. II. 4427, note A. MESTRE ; M. LONG, P. WEIL, G. BRAIBANT, P. DELVOLVÉ et
B. GENEVOIS, Les grands arrêts de la jurisprudence administrative, Dalloz, 23e
éd., 2021, n° 55,
p. 375 et s., spéc. p. 378.
7. P. DEUMIER, « Jurisprudence », in Répertoire de droit civil, Dalloz, novembre 2017
(actualisation novembre 2021), n° 121 ; P. MALINVAUD, « À propos de la rétroactivité de la jurisprudence
», RTD Civ., 2005, p. 312.
8. V. supra, n° 55.
9. P. ROUBIER, précité, n° 7, p. 26 ; pour un exemple contemporain, la CEDH a, en tranchant
une affaire française, retenu que le fait pour l'assemblée plénière de la Cour de cassation de déjuger
d'une juridiction du fond après résistance, ne constituait pas un revirement de jurisprudence mais la
clôture d'un débat interne : CEDH, 2 mars 2017, Debray c/ France, Req n° 52733/13 ; Gaz. Pal., 23 mai
2017, n° 294c2, p. 28.
10. G. TIMSIT, Les figures du jugement, PUF 1993, p. 23 et s. ; C. ATIAS, « À propos du revirement
de jurisprudence », D., 2005, p. 298.
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